tables luxueusement servies, des groupes chatoyants d’hommes en habit noir, de femmes en riches toilettes qu’on prendrait pour les invités de quelque soirée mondaine ; tout cela constitue un cadre d’un caractère et d’une magnificence rares, dont il est impossible que la favorable impression ne réagisse pas déjà sur les dispositions de l’auditoire.
L’Opéra de Vienne, quoiqu’âgé de plus de quarante ans, est, lui aussi, un admirable monument, où l’excellence de l’exécution, la recherche et la vérité de la mise en scène, le confortable de l’agencement intérieur concourent, à un égal degré, à entourer le spectateur d’une atmosphère d’art particulière. Et tous ces théâtres, quelque soin et quelque perfection qu’il ait été apporté à leur construction matérielle, sont encore presque primitifs, quand on les compare au Hofburg-Theater de Vienne. Celui-là est réservé, il est vrai, au drame et à la comédie ; mais parmi les pièces dont se compose son répertoire, il en est qui sont plus difficiles à équiper que les plus compliquées de Wagner, certaines, par exemple, de celles de Shakespeare, qui comptent plus de vingt tableaux différents, et pourtant on arrive à les y représenter sans entr’actes, ou avec des entr’actes réduits à quelques minutes seulement.
Il faudrait un long article pour décrire, dans tous ses détails, ce chef-d’œuvre d’architecture, qui n’est pas seulement une merveille de luxe et de bon goût, qui est encore, à tous égards, le modèle le plus achevé de ce qu’il paraît possible de concevoir et de réaliser dans les bâtiments de cette nature. C’est peu des fastueux escaliers, étincelants de marbre et d’or, qui desservent chaque catégorie de place, des foyers ornés des plus précieuses peintures, des nombreux et vastes dégagements qui en facilitent l’accès ou l’issue au public. Ce qui mérite une visite et une mention spéciales, c’est l’extraordinaire outillage de la scène, ce sont les multiples planchers mobiles, sur lesquels se préparent et s’équipent, au cours même de la représentation, les décors des tableaux successifs, et que des monte-charges, actionnes par la force électrique, élèvent, en un clin d’œil, du sous-sol au niveau de la rampe. À circuler dans l’enchevêtrement de ce mécanisme, où il n’entre pas une pièce de bois, qui est, par conséquent, tout à fait incombustible et dont le chef machiniste commande la manœuvre, sans avoir à changer de place, à l’aide d’un porte-voix et d’un manomètre, on a l’illusion de se croire transporté dans l’entrepont d’un paquebot gigantesque, et bien loin, en tout cas, de nos pauvres théâtres surannés et malpropres, encombrés de matériaux fusée et inflammables, véritables foyers d’incendie, où il est vraiment miraculeux que des sinistres ne se déclarent pas plus souvent.
Je ne crois pas qu’il existe, à l’heure qu’il est, en Europe, d’édifice capable de soutenir, dans ce genre, la comparaison avec celui-là. Il est certain cependant que c’est en France que nous sommes le plus loin d’un pareil idéal. Il est vrai que ce théâtre unique a coûté seize millions de francs, en partie payés par la cassette impériale qui, chaque année encore, se charge de couvrir le déficit laissé par les magnifiques spectacles qui s’y donnent, et que de tels sacrifices ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Il n’empêche que les maires et les conseillers municipaux de nos grandes villes auraient profit à aller s’inspirer de près d’un semblable modèle pour lui emprunter l’idée d’améliorations qu’on a trop négligées d’apporter jusqu’ici dans l’aménagement de nos salles de spectacles. S’il y a quelque chose chez nous qui soit visiblement en décadence, ce n’est pas le wagnérisme, comme dit M. Pierre Lalo, c’est l’art théâtral, envisagé non seulement dans ses produc-