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cette preuve éclatante et imprévue d’éclectisme. Aussi bien la tâche m’est douce, car tout en affirmant hautement ma dévotion à l’idée wagnérienne, et mes sympathies pour la jeune école, je ne cacherai pas que j’ai certaine tendresse de cœur pour quelques œuvres de la vieille école française et pour les Huguenots, tout particulièrement.

Et d’abord rendons à César ce qui appartient à César. Nous ne sommes plus ici en présence d’une de ces œuvres intégralement dues à un génie multiforme, poète et métaphysicien autant qu’harmoniste et metteur en scène : et s’il faut reporter au plus grand des compositeurs dramatiques les louanges dues au poème de Tristan, il faut faire dans le succès des Huguenots la part importante du librettiste, car Meyerbeer eut ce bonheur d’obtenir un drame merveilleusement charpenté, et exceptionnellement lyrique de l’auteur le plus banal et le plus justement décrié qui, pendant un demi-siècle, inonda de ses fades intrigues et de sa morale haïssablement bourgeoise tous les théâtres de Paris. Scribe fut inspiré une fois dans sa vie : ce jour-là il écrivit les Huguenots.

Situations violemment dramatiques, propres à amener ces cris de passion où Meyerbeer excelle, caractères nobles et franchement dessinés, et, par-dessus tout, intrigue lumineusement claire et d’un intérêt soutenu, également distante des obscurités tétralogiques et des idioties italiennes, telles sont les qualités qui mettent hors de pair ce livret type et facilitèrent étrangement la tâche du compositeur. À tout cela, un seul reproche : la coupe en duos, trios, airs, etc., propre à suspendre l’intérêt, et à effacer excessivement l’illusion scénique. Mais, à cette exigence Gluck et Beethoven s’étaient pliés, et nul ne prévoyait encore la forme actuelle du drame lyrique.

Les scènes proposées par le livret de Scribe appartiennent à deux catégories sinon tranchées, du moins discernables, et dont les contrastes sont fortement appuyés par la façon dont ils ont été mélodieusement transcrits. Une première partie comprend le 1er acte, le 2e (sauf le serment et le final), et les premières scènes du 3e ; elles sont du domaine de l’opéra-comique, et ne dépassent pas en gravité les Mousquetaires de la Reine ou Zampa. La seconde partie commence avec le dialogue de Maurevert et Saint-Bris, et se continue par le duo du 3e acte, les grandes scènes du 4e et tout le 5e. C’est ici de l’opéra seria à proprement parler, et du drame musical[1].

Ces deux parties, l’une comique et l’autre tragique, ne sont pas seulement distinctes par les genres auxquels elles se rattachent elles le sont encore par la proportion que l’on y rencontre, de trois éléments qe nous allons maintenant essayer de définir : les récitatifs, les italianismes, et les phrases purement et originalement meyerbeeriennes.

(À suivre),

Edmond Locard.
  1. La différence est tellement accentuée qu’il y a pour ainsi dire deux rôles de ténor dans les Huguenots : Raoul dans la première partie est un ténor d’opéra-comique (Sous le beau ciel de la Tourraine ; les couples de la Blanche hermine, les gargarismes du 2e acte Beauté divine, enchanteresse, etc.) Dans la seconde partie (septuor du duel, grand duo, trio final), c’est un rôle de fort ténor, scéniquement très dramatique, et vocalement très dur. D’où il résulte que la plupart des artistes qui chantent avec talent le 1er et le 2e actes sont insuffisants au 3e, et que ceux qui interprètent convenablement le septuor sont incapables de vocaliser le duo de la reine de Navarre. Chacun sait que Nourrit était la perfection même pour les 1er et 2e actes, à l’inverse de Duprez dont la voix convenait mieux au reste de l’œuvre ; Gueymard, admirable dans le septuor, ne put jamais chanter le second couplet : En m’écoutant son doux sourire. Nous avons vu, depuis, Escalaïs et Lucas, fort médiocres au début, effarer ensuite les galeries par l’ampleur de Et bonne épée et bon courage, au contraire d’Achard, d’Affre ou de Casset, excellents dans les premiers tableaux, mais peu enthousiastes du contre-ut dièze. Seul Massard a laissé le souvenir d’un Raoul parfait dans toutes les parties du rôle.