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LES HUGUENOTS

Les Huguenots sont plus qu’un opéra : c’est le palladium du vieux répertoire, le schème de la musique dramatique française, l’archétype de l’Opéra ; c’est le dernier retranchement du contre-ut, la contrescarpe du colpo di gola, et le boulevard de la cavatine ; c’est la dernière cartouche des contempteurs du wagnérisme, du d’Indysme et du debussysme ; c’est le legs sacré d’un autre âge, auquel se rattachent et les forts ténors dont la moderne déclamation ne met point assez les charmes en lumière, et les amateurs de théâtre qui préfèrent les sensations fortes à l’analyse thématique, et les rythmes berceurs aux dysharmonies absconses ; c’est le drapeau auquel se rallie tout le clan réactionnaire dans un dernier effort contre le bayreuthisme envahissant.

Prendrons-nous part à cette querelle des Anciens et des Modernes ? Il est bien démodé, semble-t-il, de citer Meyerbeer, alors que Wagner lui-même est attaqué de toutes parts comme désuet et déjà vieux jeu. Et cependant, il existe encore, et pas seulement dans les lointaines provinces, des foules qui ne sont pas uniquement composées de vieillards radoteurs, et dont le culte exclusif pour l’Ancien-Répertoire est une réalité connue des directeurs de théâtre. Et, s’il faut admettre que l’admiration des masses n’est pas précisément un brevet de mérite artistique, et que ce n’est qu’une des moins réjouissantes manifestations de la bêtise humaine que le succès tenace de la Favorite ou de la Fille du Régiment, en face des médiocres recettes de Pelléas, du demi échec de l’Étranger ou de la totale incompréhensible du Crépuscule, il n’en reste pas moins qu’il y a encore d’honnêtes gens qui préfèrent Sigurd ou l’Africaine à Siegfried ou à Parsifal, et que ces gens là n’étant pas absolument dépourvus de goût ni de sens esthétique, il faut bien trouver à ce fait une, ou des raisons d’être. Et c’est à quoi je veux m’appliquer aujourd’hui.

Laissons de côté, si vous le voulez bien, les raisons générales, c’est-à-dire l’éducation ou l’hérédité ; ceux qui nous ont immédiatement précédés furent bercés avec des cavatines, et n’ont guère acquis à leurs débuts, d’autre clinique musicale que celle du répertoire Halévy-Rossini-Meyerbeer. Et cependant nombre d’entre eux ont échappé à ce cercle pour être les fervents de la Musique de l’Avenir, ou les adeptes d’écoles plus évoluées encore. Et d’autres, par contre, qui ont eu occasion de se convertir, n’ont point été touchés par la grâce, et sont restés meyerbeeriens impénitents. Et leur nom est légion.

Faut-il admettre que cette innombrable catégorie qui embrasse et comporte les classes les plus diverses, et où se comptent quantité de gens fort distingués par leurs qualités intellectuelles n’est formée que de ce rebut du public théâtral, qui ne vient au spectacle que pour s’y délasser, ne fait qu’une différence de degré, non d’espèce entre l’ignoble Café-chantant et la Scène lyrique, et ne cherche dans l’opéra que des rythmes digestifs, et, si j’ose m’exprimer ainsi, une incitation et une aide aux mouvements péristaltiques de leurs tuniques intestinales ? N’y a-t-il rien dans l’Œuvre ancienne qui soit susceptible de faire vibrer l’âme, est-elle la négation même de l’Art ?

Je ne le pense pas, et, quelque bravoure qu’il faille développer pour défendre maintenant les musiques mortes, la Revue Musicale de Lyon donnera aujourd’hui