Mlle Claessen a été vraiment excellente. Mlle de Véry est un page charmant.
Les chœurs sont toujours composés de voix éraillées et avinées dont la qualité populacière détonne étrangement sous l’élégant pourpoint des « nobles seigneurs » papistes ou huguenots.
Tannhæuser, cette œuvre hybride qui contient, à côté de pages admirables, les choses les plus ennuyeuses du monde, a reçu mercredi une interprétation suffisante dans l’ensemble et tout-à-fait remarquable de la part de Mlle Janssen, de MM. Verdier et Dangès.
Pour Mlle Janssen, il nous est difficile de dire encore, en termes nouveaux, sa louange. Notre éminente cantatrice a étudié avec tant de soin et de ferveur les rôles de Wagner, elle les chante d’une voix si pure, aux inflexions si douces, elle les vit avec une intensité dramatique si grande, elle les interprète avec tant de compréhension que nous ne trouvons pas d’épithètes assez laudatives pour exprimer notre admiration. Elle est tour à tour dans Elisabeth, la jeune fille confiante (ô son délicieux jeu de physionomie lorsque Tannhauser chante le premier chant de concours dont elle ne saisit pas encore la répréhensible sensualité !), l’amoureuse éperdue et la sainte qui se sacrifie à son amour, avec une vérité, un « vécu » admirables. Et M. Verdier, dont les qualités vocales sont médiocres, joue le rôle de Tannhæuser, avec ce même grand art qui fait oublier les incertitudes de sa voix, cette vie intense que nous avons déjà admirée bien souvent l’an dernier et qui impressionne toujours profondément.
M. Dangès était chargé du rôle de Wolfram défiguré l’an dernier par un détestable et inintelligent cabotin, et nous avons été heureux de retrouver en lui l’artiste qui chantait, à ses débuts, il y a quelques années avec tant d’autorité déjà les rôles de second baryton. Sa voix, très belle, s’est affermie et solidement timbrée (qu’il se défie pourtant d’une tendance à grossir exagérément le son !), son articulation est excellente, son jeu sobrement expressif. Avec lui, pour la première fois, nous avons vu un Wolfram ne chantant pas sur le trou du souffleur et s’adressant, dans le concours de la Wartburg, aux personnages qui l’entourent et non pas au public de la salle où les barytons s’obstinent d’ordinaire à découvrir « Des héros pleins d’honneur, de vaillance et les beautés qu’ils honorent et vénèrent… » Et il sut indiquer discrètement, par un jeu de scène jamais encore remarqué, dans son chant : « Vers un seul astre alors tournant ma vue », l’amour silencieux et désintéressé que lui inspire Elisabeth. Son interprétation de la fameuse Romance à l’Étoile fut également excellente.
Les autres artistes furent moins intéressants : Mlle Claessen toujours très correcte, chante avec goût, encore que sa voix n’ait pas ce timbre chaud et prenant ; sa diction cette ardeur languide, ce je ne sais quoi d’amoureusement extatique qui conviendrait à Vénus et ses notes un peu dures s’accordent assez mal avec le trouble sensuel, la douloureuse volupté traduite intensivement par la musique du Vénusberg. M. Galinier fut bien médiocre et sa voix lourde et un peu pâteuse rendit moins intéressantes encore les ennuyeuses et interminables tirades du Landgrave. Il n’y a par contre que des félicitations à adresser à M. Roosen (Biterof), le jeune et intelligent baryton et à Mme G. Lenté-Maître qui chanta gentiment et d’une jolie voix le rôle inutilement épisodique du pâtre.
L’orchestre nous avait habitués l’an dernier à des exécutions plus soignées. L’ouverture sans doute fut enlevée d’une belle allure et M. Flon bénéficia d’une ovation enthousiaste et bien méritée, mais dans l’ensemble, que d’accrocs ! Tout indiquait nettement un manque de préparation (mise au point incomplète, faux départs, manque de précision, couacs de la trompette, bafouillage exagéré des flûtes). Et de ces défauts, nous en saurions rendre responsable M. Flon, obligé d’une part de préparer hâtivement, en peu de jours, une série trop considérable d’œuvres (M. Broussan ayant hautement manifesté son intention d’épater le public) et qui s’est vu, d’autre part, au dernier moment, privé de plusieurs de ses meilleurs solistes (clarinette, basse, trompette…) pour des raisons que la raison ne connaît heureusement pas.
Les chœurs n’ont pas été plus satisfaisants :