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drent pas si misérablement quand on y touche. Un parfait libertin, Nevers qui aime Valentine, y renonce et puis l’épouse. Cette même Valentine qui aime Raoul, épouse Nevers, lui jure amour et se fait finalement marier à Raoul. — Ce Raoul qui aime Valentine la repousse, s’éprend de la reine et finit par épouser Valentine ; et cette reine enfin, bien reine de tous ces fantoches !… Et on fait un succès à tout parce que cela vient de Paris — et vous pudiques jeunes filles allemandes, vous ne vous couvrez pas les yeux ? — Et voilà, le plus avisé des compositeurs se frotte les mains de joie !

Pour parler de la musique en soi, un volume entier ne suffirait pas : Chaque mesure est voulue et sur chacune il y aurait quelque chose à dire. Stupéfier et chatouiller, voilà la devise suprême de Meyerbeer, et qui lui réussit aussi, près du vulgaire. Maintenant, quant à ce choral insinué partout, qui met les français hors d’eux, je confesse que si un élève m’apportait pareille page de contrepoint, je le prierais très instamment de n’en point faire d’aussi mauvaise à l’avenir. Qu’elle est fade au-delà de tout, et froidement superficielle (au point que le vulgaire s’en aperçoit) et de quelle pesanteur de forgeron cette éternelle criaillerie de Marcel : « Ein feste Burg ! » On fait encore grand cas de la bénédiction des épées au quatrième acte. J’accorde qu’elle a une grande allure dramatique, que quelques tours de phrase sont frappants et bien trouvés, et que le chœur notamment est d’un grand effet extérieur ; situation, mise en scène, instrumentation, tout saisit à la fois, et comme l’atroce est l’élément naturel de Meyerbeer, il a écrit aussi cette scène avec feu et amour. Si pourtant on examine la mélodie au point de vue musical, qu’est-ce autre chose qu’une Marseillaise retapée ? Je ne blâme pas de pareils moyens à une telle place. Je ne blâme pas qu’on fasse appel à tous les moyens à une place convenable, mais il n’y a pas à crier au chef-d’œuvre parce qu’une douzaine de trombones, de trompettes et d’ophicléïdes, avec cent voix d’hommes à l’unisson, sont capables de se faire entendre à une certaine distance. — Ici je dois mentionner le raffinement de Meyerbeer. Il connaît bien trop le public pour n’avoir pas remarqué que trop de bruit finit par blaser. Aussi avec quelle adresse ne travaille-t-il pas contre cette impression ! Juste à la suite de ces décharges de tonnerre, il place des airs entiers avec accompagnement d’un seul instrument, comme s’il voulait dire : « Voyez aussi un peu ce que je peux entreprendre avec peu de chose, voyez Allemands, voyez ! » On ne peut malheureusement lui refuser quelque esprit.

Passer tout en revue en détail, quel temps y suffirait ? La tendance toute superficielle de Meyerbeer, sa parfaite absence d’originalité et de style sont suffisamment connues aussi bien que son habile talent à apprêter, à rendre brillant, à traiter dramatiquement, à instrumenter, enfin sa grande richesse de formes. On peut sans grande peine signaler dans son œuvre Rossini, Mozart, Hérold, Weber, Bellini, jusqu’à Spohr, bref, toute la musique. Mais ce qui lui appartient bien entièrement, c’est ce rythme si vanté, si ennuyeusement martelant, si malséant enfin, qui traverse presque tous les thèmes de l’opéra. J’avais entrepris de noter les pages où il se présente (pages 6, 17, 59, 68, 77, 100, 117…) mais j’ai fini par m’en dégoûter. La haine seule pourrait nier la présence de plus d’une page excellente et aussi de quelques élans nobles, élevés : ainsi le champ de bataille de Marcel fait de l’effet, la romance du page est aimable ; la majeure partie du troisième acte, par des scènes populaires présentées avec vie ; la première partie du duo entre Marcelle et Valentine, intéresse encore par son caractère ; le sextuor également par la manière comique dont il est traité ;