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Polonaise en ut majeur pour le piano (œuvre 89). Sa Majesté lui fit remettre de suite 50 ducats. Elle se ressouvint alors des trois sonates dédiées 12 ans auparavant à son impérial époux. Elle s’informa si le Maître avait reçu quelque présent pour ces trois belles œuvres. Quand elle apprit que cette dette d’honneur n’avait pas été acquittée, elle s’empressa de faire remettre à Beethoven 100 ducats sur sa cassette particulière.

Les œuvres les plus importantes composées entre les deux sonates précédentes (œuvres 23 et 24) et les trois sonates (œuvre 30) sont la sonate en ut dièze mineur (œuvre 27) dite le Clair de lune et le quintette en ut majeur (œuvre 29) pour instrument à cordes, dit la Tempête.

C’est la basse, qui, après l’accord de la majeure doucement plaqué, entonne mezza voce pendant deux mesures l’allegro de la 6e sonate (œuvre 30 no 1). Le reste de cette phrase est fait d’une agréable succession de noires coulées. Il est manifestement écrit à trois parties. La partie supérieure et l’inférieure exécutent une marche harmonique en sens contraire, absolument typique. La seconde phrase en mi majeur est une première fois accompagnée par une simple batterie de croches à la Mozart. Le violon la reprend, non plus en noires liées, avec accentuation sur le deuxième temps, mais en croches détachées. L’accentuation est alors reportée sur une syncope à cheval sur le 2e et le 3e temps. Le piano au rythme binaire du chant en croches du violon oppose un rythme ternaire en triolets piqués. Un épisode est constitué par des répliques débutant par trois notes vivement attaquées et se continuant par un trait énergique en doubles croches. Les deux instruments reprennent cet épisode comme en canon. C’est le seul passage réellement animé et fougueux de cette première partie d’un caractère général plutôt calme et coulant.

L’adagio molto expressivo en majeur est la perle de cette sonate. Un la harmonique d’une pureté idéale se fait entendre. C’est le violon qui chante une mélodie d’une réelle noblesse et d’une grande élévation. Elle acquiert sur la deuxième corde un timbre plus pénétrant et plus expressif. Le piano redit ce chant. Puis dans une courte période en si mineur le violon touche l’âme par ses accents de supplication. Une période en majeur du piano est d’allure fière ; elle se termine par un point d’orgue sur l’accord de fadièze majeur.

Pendant tout ce qui précède et pendant la moitié de ce qui va suivre, un rythme moëlleusement saccadé, résultant d’une série ininterrompue de groupes formés d’une double croche pointée et d’une triple croche est enclavé dans les parties intermédiaires de l’accompagnement. Ce rythme contribue à accroître la puissance de l’expression. D’autres fragments d’œuvres de Beethoven sont aussi traversés par un rythme spécial et persistant, notamment l’allegro vivace à 6/8 de la symphonie en la.

Plus loin une modulation du piano amène le ton de si bémol majeur. Un chant grandiose est répété dans cette tonalité par les deux instruments. Le contraste qui se reproduit deux fois, d’une note grave émise avec douceur et d’une note aiguë lancée avec force, produit un effet saisissant.

Toute la terminaison de cet adagio est d’une délicatesse infinie. Elle charme délicieusement.

L’allegretto con variazioni n’a été écrit qu’après coup. Le final primitivement destiné à la sixième sonate est celui qui termine la sonate à Kreutzer. Beethoven le trouvant trop brillant pour la sonate (œuvre 30 no 1) l’en détacha et le remplaça par cet allegretto con variazioni. Il existe de cet allegretto une transcription pour piano à quatre mains, faite par Beethoven lui-même.