ajouter-y toute la presse parisienne, officiellement invitée en pareil cas, et dont il suffit que vous lisiez les comptes rendus pour juger de son hostilité contre moi : dans de telles conditions, vous admettrez bien que je puisse me permettre de prononcer le mot de victoire, si je vous affirme, sans la moindre exagération, que l’exécution médiocre de mon œuvre fit éclater des applaudissements plus nourris, plus unanimes, que ceux dont j’ai été jusqu’à présent, en Allemagne, l’objet et le témoin.
« Les critiques musicaux d’ici, en majorité, on peut même dire en totalité, étaient les boute-en-train de l’opposition, presque générale au début. Jusque vers la fin du second acte ils s’étaient évertués à détourner l’attention du public ; ils laissèrent percer alors la crainte d’être obligés d’assister à un succès complet et éclatant du Tannhœser ; aussi s’avisèrent-ils de recourir à un stratagème ; c’était d’éclater en rires assez grossiers, après des répliques sur lesquelles ils s’étaient entendus aux répétitions générales. Ils parvinrent ainsi, dès la fin du second acte, à produire une diversion suffisamment fâcheuse pour diminuer l’importance de la manifestation qui eut lieu à la chute du rideau. Ces messieurs, à toutes les répétitions générales, d’où il n’avait pas dépendu de moi de les écarter, avaient remarqué que c’était sur le troisième acte que reposait le succès proprement dit de mon opéra. Un fort beau décor de M. Desplechin, représentant le val au pied de la Wartburg, à la lueur d’un crépuscule d’automne, opéra déjà aux répétitions, sur toute l’assistance, le charme, grâce auquel la disposition d’esprit nécessaire à l’intelligence des scènes suivantes se développait irrésistiblement. Du côté des interprètes, ces scènes furent la partie brillante de toute l’exécution. La réalisation musicale et scénique du chœur des pèlerins atteignait à une beauté qui ne pouvait être surpassée ; la prière d’Elisabeth était rendue en perfection et avec une expression saisissante par Mlle Sax ; la rêverie adressée à l’étoile du soir était soupirée par Morelli avec une parfaite délicatesse élégiaque : ce cortège de morceaux amenait si heureusement le récit du pèlerinage (la meilleure partie de l’interprétation de Niemann, celle qui toujours gagna les plus vifs suffrages), que même les adversaires les plus acharnés de mon œuvre durent s’avouer l’importance tout à fait exceptionnelle du succès réservé à ce troisième acte. Ce fut précisément à ce troisième acte que s’attaquèrent les meneurs
dont il a été question : par de bruyants éclats de rire auxquels les motifs les plus futiles, les plus puérils, servaient de prétexte, ils tentèrent de troubler cet état indispensable d’émotion recueillie, dès qu’il paraissait gagner le public. Sans se laisser désarçonner par ces démonstrations hostiles, mes interprètes ne plièrent pas ; le public, lui aussi, tint bon, et prêta une attention sympathique à leurs vaillants efforts, souvent récompensés par de chaleureux applaudissements, si bien qu’à la fin de l’acte, l’opposition fut complètement terrassée par le rappel véhément des interprètes.
« L’attitude du public, le soir de la deuxième représentation, me prouva que je ne m’étais pas trompé en considérant le succès de la première soirée comme une complète victoire ; car ce fut alors qu’on put voir décidément à quel genre d’opposition je devais, désormais, avoir exclusivement affaire ; je veux parler du Jockey-Club d’ici, et je puis d’autant mieux me permettre de le citer, que le public, en criant : À la porte les Jockeys ! [1], a lui-même désigné mes principaux adversaires à haute et intelligible voix. Les membres de ce club (dispensez-moi, n’est-ce pas, de trop insister sur la légitimité du droit qu’ils croient posséder de régner en maîtres au Grand-Opéra) s’étaient sentis profondément lésés dans leurs intérêts par la suppression du ballet habituel au moment de leur entrée, c’est-à-dire vers le milieu de la représentation : grand fut donc leur effroi, quand ils s’aperçurent que le Tannhœuser, à la première représentation, non seulement n’était pas tombé, mais qu’il avait même, en réalité, remporté un triomphe. C’était donc à eux, désormais, de mettre bon ordre à ce que cet opéra sans ballet se prolongeât à leur barbe de soirée en soirée ; à cet effet, en quittant la table, ils étaient allés faire ample provision de sifflets de chasse et autres instruments du même genre, et voici qu’à peine entrés au théâtre, la manœuvre contre le Tannhœuser commence sans plus de façons.
« Jusque-là, c’est-à-dire pendant le premier acte et jusqu’à la moitié du second, on n’eût pu surprendre la moindre apparence d’opposition ; les applaudissements les plus soutenus avaient fait escorte sans soulever de protestations, aux passages de l’œuvre qu’on avait tout d’abord goûtés. Mais à partir de ce moment, toute démonstration favorable devint inutile : en vain l’empereur lui-même et l’impératrice donnèrent-ils à mon œuvre, pour- ↑ En français.