mais plus calme, agréable et qui, au fond devait être la bonne » à celle que Wagner lui-même imposait.
Après les tristes souvenirs des années 1839-1842, on aurait pu penser que Wagner n’eût plus dirigé son espoir vers la France ; pourtant, depuis cette époque, il avait tenté çà et là, d’après le conseil de Liszt, d’y faire représenter une de ses œuvres. Ces essais n’étaient guère faits de grand cœur ; ils n’eussent aussi conduit à rien, si Wagner n’avait dû vivre à l’étranger, banni de sa patrie, là où il ne pouvait entendre ses créations. Après avoir écrit la première moitié de l’Anneau du Nibelung et Tristan et Isolde, il n’avait pas encore assisté à une exécution de Lohengrin. En effet, après la révolution de 1848-1849, il avait dû fuit l’Allemagne avec un passe-port prêté par un ami, le docteur Widmann, et il restait exilé de sa patrie, à Zurich. Liszt avait entretemps dirigé la première exécution de Lohengrin à Weimar, le 28 août 1851, l’anniversaire de la naissance de Goethe ; l’œuvre avait remporté du succès sur toutes les grandes scènes allemandes ; après dix ans, Wagner pouvait encore écrire : « Je serai bientôt le seul Allemand qui n’ait pas vu Lohengrin… »
C’est ce désir ardent d’entendre sa propre œuvre, de voir sur la scène ce que son esprit avait conçu, qui conduisit Wagner à tenter de vaincre les difficultés qui s’opposaient à la représentation d’une de ses œuvres en France. Comme il en convient lui-même, il désirait cette exécution plus pour lui-même que pour le public.
Mme de Metternich obtint de l’Empereur que l’ordre fût donné à l’Académie impériale de musique d’exécuter Tannhäuser. La traduction, faite en partie par l’infortuné Roche, de même que les répétitions
partielles exigèrent beaucoup de temps. Enfin le Dr Royer, qui obéissait à contrecœur, reprocha si vivement à l’œuvre le manque d’un ballet que Wagner céda. Il augmenta la première scène du Vénusberg et y introduisit une bacchanale antique prêtant à de beaux groupements, à toute la magie sensuelle que peut donner la scène moderne. Ce n’était point là le Pas de deux habituel, qu’on eût certes préféré. Il retoucha aussi quelques scènes du deuxième et du troisième actes. Quoique pareil problème de retouche fût extrêmement difficile, puisqu’il s’agissait d’écrire dans un style que quinze ans de création avaient modifié, Wagner entreprit volontiers ce travail car il voulait marquer plus fortement le contraste entre Vénus et Elisabeth, entre la sensualité personnifiée dans l’antique légende et l’amour pur de la femme chrétienne.
On sait ce que fut cette représentation qui avait pourtant été préparée avec le plus grand soin[1]. Wagner avait choisi lui-même ses interprètes[2] dont quelques-uns furent excellents. Mais le Jockey-Club avait décidé de s’opposer à la représentation de Tannhäuser et organisa une scandaleuse cabale.
Wagner a raconté ces événements dans ses Souvenirs dont voici quelques extraits :
« Grâce à l’étrange sollicitude de ceux qui disposent exclusivement des places un jour de première, et qui m’avaient presque refusé de caser mes quelques amis personnels, on voyait réuni ce soir-là, dans la salle du Grand-Opéra, un public dont la mine annonçait à tout observateur de sang-froid une extrêmement prévention contre mon œuvre ;- ↑ D’après les chiffres tirés des Archives de l’Opéra et publiés dans les Bayreuther Festspiel Blœtter (1884) il y eut 164 répétitions dont 73 au piano, 45 pour les chœurs, 27 avec les premiers sujets, 4 pour les décors et 14 répétitions générales en scène, avec l’orchestre, les décors et les costumes.
- ↑ Distribution : Tannhæser, Niemann ; — Wolfram, Morelli ; — Le Landgrave, Cazaux ; — Walther, Aymès ; — Biterolf, Coulon ; — Henri, Kœnig ; — Reinmar, Fréret ; — Elisabeth, Marie Sax ; — Vénus, Mme Tedesco ; — Le Pâtre, Mlle Reboux.