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REVUE CONTEMPORAINE.

soleil montât dans un ciel pur, et il allait atteindre le méridien. Mes yeux, habitués à l’ombre, ne purent supporter le radieux éclat du jour et je les fermai involontairement. Je me rappelai alors qu’à mon entrée dans la caverne, le soleil inclinait sensiblement à l’horizon.

« Il faut, pensai-je, que j’aie dormi presque tout un tour de soleil. Quelle étrange chose ! Mais qu’ont dit Leucé et Daphné en ne me voyant pas revenir ? Qu’ont dit mes parents ? Allons vite les rassurer. »

Tout en me raisonnant ainsi, et, vous le pouvez croire, d’une manière un peu moins claire que je ne vous le raconte, je me sentais toujours cette pesanteur qui vient de ce qu’on est resté longtemps dans la même position « Pour me tirer d’engourdissement, je me secouai fortement, et je me frottai les yeux comme on fait au sortir du sommeil. Je fus surpris de me trouver le visage tout hérissé de barbe, et il fallait qu’à mon réveil j’eusse été bien assoupi pour ne pas m’en être aperçu plus tôt. Je tirai avec force cette barbe, ne pouvant croire qu’elle fit partie de ma figure, et m’imaginant follement que c’était un jeu de quelques bergers qui, dans mon sommeil, s’étaient amusés à m’entourer le visage de mousse et de poils de chèvre. Mais j’eus beau tirer, la barbe tint bon. Alors, je cherchai autour de moi si je ne terrais pas un peu d’eau pour y plonger ma figure. Je n’eus point de peine à trouver ce que je désirais. L’eau d’une source s’était amassée dans le creux du rocher ; elle y dormait sur la pierre noire, abritée par quelques oliviers sauvages. Je m’inclinai vers ce tranquille bassin ; mais, soudain, je me rejetai en arrière, en poussant un cri d’horreur. Sous l’eau limpide et se détachant de la pierre avec une singulière netteté, j’avais vu une figure avec les yeux tout ouverts et hagards, une peau flétrie et vidée, une longue chevelure inculte et une barbe hérissée. Était-ce un cadavre qui reposât au fond de cette source ? Mais il me semblait que ses yeux s’étaient remués et qu’à ma vue il avait fait comme un soubresaut d’horreur. Je fus tenté de m’enfuir, mais j’eus honte de ma frayeur, et d’ailleurs j’éprouvais un sentiment de colère de tout ce qui m’arrivait d’étrange depuis la fin de mon sommeil. Je revins donc vers la fontaine, avec précaution, et, replaçant ma tête au-dessus du bassin, je regardai. Je revis la même figure, plus calme cette fois et immobile, me regardant avec une fixité inquiète. Je fis un mouvement, elle imita mon mouvement ; je portai la main à mon front brûlant, et une main semblable à la mienne vint s’appliquer au front de cette image.

« Mais c’est ma figure, m’écriai-je. Qui donc m’a, fait cette odieuse face de vieillard ? Quel jeu cruel ! »

Plein de colère, je me jetai contre les rebords de la fontaine et je