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ÉPIMÉNIDE DE CRÈTE.

sons d’Homère et des rhapsodes ne suffisant plus à la curiosité, on avait inventé des chants nouveaux, plus variés et plus savants. Je me rendis promptement habile dans l’art de construire une ode et d’accompagner les paroles des sons de la lyre, que je touchais avec un archet. Puis, mon ambition croissant avec les applaudissements que je recueillais, je composai un poème lyrique pour la fête de Gortynie. Mes camarades d’école me promirent de m’assister. En effet, au jour fixé, nous étions rassemblés sous le péristyle du temple de Zeus. La foule était grande autour de nous, car ma réputation s’étendait au loin. La première partie de l’ode réussit à souhait. L’antistrophe succéda à la strophe, et l’épode suivit. Mon archet, courant légèrement sur les cordes bien tendues, en tirait des sons nets et vibrants, qui menaient le chœur et allaient frapper la foule. Mais, quand nous attaquâmes la seconde strophe, il me sembla que ces sons s’assourdissaient ; l’archet, comme amolli, ne mordait plus sur les cordes détendues ; en même temps, les chanteurs, n’étant plus soutenus par la musique, donnaient des signes nombreux de trouble et d’hésitation. Épouvanté et exaspéré de ce contre-temps, je crispai mes doigts sur le manche de l’archet, et je pressai sur les cordes de la lyre ; mais les sons que j’en tirais étaient de plus en plus rauques, et ils finirent par se perdre dans un grincement confus. Mes chanteurs s’arrêtèrent éperdus, tandis que la foule faisait étendre des éclats de rire et des huées.

Plein de fureur, je précipitai la lyre contre le pavé de marbre, où elle rendit, en se brisant, un son plaintif et harmonieux, et je fendis la foule, qui s’ouvrit devant moi. Je marchai sans dessein, où me portèrent mes pas. Si longtemps je marchai, que j’arrivai dans un port où étaient rassemblés de nombreux navires. C’était une expédition préparée pour aller combattre les sauvages habitants de la Cilicie, qui infestaient la mer de leurs pirateries. On m’admit à bord d’un des vaisseaux, et comme j’étais dans la force de l’âge et habitué à tous les exercices du corps, je me formai sans peine au métier de soldat. Aussi, quand nous débarquâmes, je n’étais déjà plus perdu dans la foule. Dès les premiers combats, je signalai mon courage. Aucun ne m’égalait dans la mêlée ou dans les embuscades, et il fat bientôt prédit que je serais un jour un chef d’armée. Nos succès furent grands, mais nous n’étions pas assez nombreux pour occuper la pays, et nous résolûmes de nous éloigner avec le vaste butin que nous avions recueilli. Dans la nuit qui précéda le départ, j’obéis à une funeste pensée. Désireux d’accomplir encore un exploit éclatant, je pénétrai seul dans le camp ennemi. J’égorgeai un grand nombre de Ciliciens, et je partis chargé de dépouilles. Mais en retournant dans notre camp, je m’égarai. J’usai on vain mes forces et les heures