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L’autorité du pape succombait dans une ville et se relevait en même temps dans une autre. Bologne chassait le légat et se donnait un dictateur qui la vendait plus tard au pontife. Des haines particulières, des ambitions personnelles ajoutaient partout à ce désordre. Les Gonzagues, protégés par l’empereur, s’intronisaient à Mantoue par le meurtre. Dans Ferrare, un bâtard chassait les héritiers légitimes de son père, et faisait absoudre ses violences par ses victoires. Une race d’Atrides désolait le Milanais de ses querelles domestiques. Marc Visconti conspirait contre son frère Galéas, contre son neveu Azzon, et périssait étranglé de la main de ses frères. Les Florentins changeaient chaque jour de maîtres, d’ennemis et d’alliés, ne laissaient à leurs voisins ni trève ni repos, et passaient en un moment de l’abattement à la victoire, d’une prospérité insolente à la plus dégradante des humiliations. Pierre d’Arezzo dépouillait impunément les seigneurs voisins de leurs fiefs et de leurs châteaux. Martin Scaliger, surnommé le chien de Vérone, jetait son ambition à travers ces discordes, s’emparait de Bresce et de Vicence, enlevait Padoue aux Carrares, Reggio aux Rozzi, insultait Venise et le Milanez ; poignardait de sa main l’évêque de Vérone, son parent, qui avait vendu sa capitale aux Vénitiens, et trafiquait lui-même des villes qu’il ne pouvait garder. Le roi Robert de Naples disputait la Sicile à la maison d’Aragon, fomentait partout la guerre pour s’agrandir, excitait les Guelfes de Gênes et de Florence par ses intrigues, et les abandonnait dans leurs défaites. Lucques vendue par Scaliger, revendue par les Allemands, tombait aux mains de l’aventurier Castruccio Castracani, qui, ayant commencé sa fortune avec une bande de brigands, était parvenu à se faire une armée formidable, avait reçu le titre de lieutenant de l’empereur, et couvrait l’Italie centrale du sang des Guelfes et des ennemis de l’empire. Rome enfin, abandonnée par son maître, était désolée par la rivalité des Ursins et des Colonnes, qui s’en disputaient le gouvernement ; et le Tibre ensanglanté accusait tous les jours leurs violences et leurs assassinats. Pétrarque ne pouvait aban- donner dans cette circonstance le parti de ses illustres amis ; mais il aurait pu se dispenser de célébrer la gloire d’Etienne Colonne le jeune, qui avait tué dans une rencontre Berthold et François des Ursins. Son exagération fut même ridicule. Il faisait du vainqueur un Annibal, un Théodose, il le saluait du nom de héros, lui promettait l’appui de tous les élémens, du dieu protecteur de l’Italie, le poussait à de nouveaux combats et lui présentait César pour son modèle unique.

Mais ce qui est sublime, admirable, c’est l’ode ou canzone, spirto gentil, que Voltaire a justement proclamée la plus belle de toutes, et qui, sortant du caractère des autres poésies de Pétrarque, prouve que la force et l’énergie pouvaient s’allier dans ses vers à la grâce et à la délicatesse. Le nom du héros auquel cette ode était consacrée a longtemps divisé les commentateurs. Mais il est probable que ce héros était ce même Colonne que le nouveau pape Benoît XII venait de confirmer dans la charge de sénateur de Rome, dont son épée l’avait investi. Le patriotisme de Pétrarque le fit rentrer enfin dans