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parut un témoin irrécusable ; comme si toutes les femmes de ce temps n’avaient pas été, comme Laure, exposées à l’hommage d’un sonnet. La découverte fit cependant du bruit. François Ier régnait, et ce qui intéressait les lettres occupait alors sa nation tout entière. Ce roi passa la même année dans le comtat ; il visita le fameux tombeau, ouvrit la boîte et y inséra cette épitaphe :

En petit lieu compris vous pouvez voir
Ce qui comprend beaucoup par renommée :
Plume, labeur, la langue et le savoir,
Furent vaincus par l’aymant et l’aymée.
Ô gentil âme, estant tant estimée,
Qui te pourra louer qu’en se taisant !
Car la parole est toujours réprimée,
Quand le subjet surmonte le disant.

Cette découverte ne leva point tous les doutes. Des controverses s’établirent. On récusa l’authenticité du sonnet. On y chercha des irrégularités qu’on déclarait indignes de Pétrarque. Le cardinal Bembo, qui en demanda une copie, répondit à Barthelemy de Castellane que les vers en seraient désavoués par le plus médiocre des poètes. Les visiteurs affluèrent cependant autour de ce tombeau ; ils le chargèrent de leurs inscriptions. Le chancelier de l’Hospital a vu le sonnet et la boîte ; mais ces monumens ont disparu vers l’an 1730, et le père Faure, provincial des Cordeliers, accusa le sacristain Bassi de les avoir vendus à quelque seigneur anglais. Tout le monde est maintenant d’accord, sur la foi de Louis Beccadilly, archevêque de Raguse, et ami du cardinal Sadolet, que le sonnet n’était pas de Pétrarque ; mais il n’est plus permis de douter que sa Laure ne fut la fille d’Audibert de Noves, et la femme d’Hugues de Sade. Sa mort est constatée à la date même de 1348, établie par notre poète, et un contrat du 16 janvier 1323 atteste son mariage. Le roman de Velutello n’en obtint pas moins de crédit en Italie, et il y prévalait encore au commencement du XVIIIe siècle, si bien que Muratori lui-même n’osait se prononcer entre les deux versions.

Revenons à la vie de Pétrarque, et disons que s’il avait hésité longtemps à livrer le nom de Laure à l’éclat d’une aussi grande renommée, il connaissait trop bien le cœur des femmes pour craindre de l’offenser en louant ses attraits. La physionomie céleste de celle qu’il aime, son port noble, son visage, auquel, suivant lui, rien d’humain ne pouvait être comparé, ses beaux yeux, dont l’éclat égalait la décence, ses sourcils d’ébène, sa chevelure blonde, qui flottait sur un sein d’albâtre, cette bouche angélique, ces deux rangs de perles, qu’elle laissait voir à travers des lèvres de rose, son teint frais et vermeil, ses mains plus blanches que la neige, ses pieds agiles, ses manières gracieuses, sa voix douce et divine, son maintien modeste, tout, jusqu’à ses vêtemens, jusqu’aux ornemens de sa tête, tout est chanté dans une foule d’odes, de madrigaux et de sonnets. C’est dans cent passages de