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en divisant toutes les syllabes de ce nom chéri qu’il le hasarde pour la première fois dans un sonnet qu’un jeu de mots puéril rend peut-être indigne de lui. C’est à la huitième année de son amour qu’un autre sonnet laisse échapper ce nom tout entier. La glace une fois rompue, il le répète dans ses vers et dans ses lettres ; mais il ne fait jamais connaître ni l’état, ni la famille de Laure. Il parle seulement de l’illustration de son origine, et l’incertitude dans laquelle il nous a laissés a fait naître les conjectures les plus absurdes. La chasteté de cet amour, si extraordinaire dans un siècle de corruption, fit douter de l’existence de son objet ; et, cent ans après la mort de Pétrarque, les commentateurs et les biographes s’évertuaient à trouver le sens allégorique d’une passion qu’ils traitaient d’imaginaire. Ce fut tour à tour la science, la poésie, la vertu, la religion et la sainte Vierge. Les auteurs les plus graves disputaient sur ces ridicules hypothèses, au lieu d’aller droit à la vérité. C’est ainsi qu’un traducteur français des Lusiades, expliquant à sa manière le merveilleux de Camoëns, a transformé Jupiter en Dieu le père, Mars en Jésus-Christ, et vu la religion chrétienne dans la déesse de Gnide. Il a fallu un siècle et plus pour ramener les esprits à l’idée que cette Laure, objet d’une passion si vive et si constante, n’était pas une allégorie. Alexandre Velutello, de Lucques, l’un des plus grands admirateurs de Pétrarque, voulut résoudre ce problême. Il se transporta dans Avignon, vers 1524, et n’y trouva d’abord qu’une tradition incertaine et confuse. Un vieillard de la maison de Sade lui donna, sur la sépulture de cette femme célèbre, des renseignemens qui s’accordaient avec la note écrite de la main de Pétrarque sur le premier feuillet de son Virgile. Mais le vieillard se trompait sur une date ; et Velutello rejeta des notions qui l’auraient cependant conduit à la vérité, pour embrasser une erreur sans fondement. Il courut à Vaucluse, pour en explorer les alentours, dont, par parenthèse, la sauvagerie convient parfaitement à un amour désespéré. Les vieux registres du village de Cabrières lui présentèrent une Laure, fille d’Henri de Chiabau, seigneur du lieu, baptisée le 4 juin 1314 ; et, sans réfléchir que cette Laure n’aurait eu que douze ans à l’époque où Pétrarque fut frappé de sa beauté, il l’adopta pour l’amante du poète, bâtit un roman sur cette fable, et l’erreur de Velutello, accréditée en France et en Italie, fit rendre à la mémoire de Laure de Chiabau les hommages qui étaient dus à une autre. Quelques esprits persistaient cependant à croire que notre Laure appartenait à la maison de Sade. La note du Virgile la faisait mourir le 6 avril 1348, et cette date n’allait point à la Laure de Cabrières. La onzième églogue de Pétrarque indiquait l’église des Cordeliers comme la sépulture de la sienne, quoiqu’il en eût déguisé le nom sous celui de Galatée ; et on eut la pensée d’interroger ce tombeau. Le cardinal Sadollet, évêque de Carpentras, Jérôme Manelli de Florence, le savant Lyonnais Maurice de Sève, et Bontemps, grand-vicaire d’Avignon, le firent ouvrir en 1333. Ils y trouvèrent une boite de plomb renfermant une médaille où était gravée une tête de femme, et un sonnet écrit sur un parchemin qu’ils eurent grand’peine à déchiffrer. Ce sonnet