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l’enthousiasme du patriotisme. Pétrarque eut occasion de le connaitre pendant le voyage qu’il fit à Avignon pour se concerter avec le pape sur les moyens de rétablir la paix en Italie, et ne pouvait se rassassier des entretiens de ce chef de la famille qui l’avait adopté.

L’heure vint cependant où Pétrarque fut saisi de cette passion qui a fait son tourment et sa gloire, qui s’est identifiée avec sa vie entière. Des beautés sans nombre avaient jusque-là brigué sa conquête, mais la facilité de ces triomphes ne lui présentait que des plaisirs suivis de regrets et de dégoûts. Il avoue même qu’il en résulta des embarras nouveaux pour sa fortune, et qu’il fut obligé de pourvoir à l’entretien de deux enfans dont, par réserve ou par pudeur, il n’a point nommé les mères. Il fallait à son cœur un amour plus pur et plus digne de lui, et c’est le 6 avril 1327, dans l’église de Sainte-Claire, que l’aspect de Laure l’enflamma tout à coup d’une ardeur qu’il n’avait point encore ressentie. Il peint lui-même dans ces vers, que j’ai essayé de traduire, l’atteinte de cette passion que rien n’a pu vaincre.

L’amour depuis longtemps s’essayait sur mon cœur,

Et de ses traits déplorait l’impuissance.
De la jeunesse en moi se flétrissait la fleur ;
Et de mes froids pensers l’heureuse indifférence
Semblait ceindre ce cœur d’un mur de diamant
Qu’assiégeait sans relache et sapait vainement
Le dieu dont mon orgueil défiait la vengeance.
De mon sommeil rien ne troublait la paix.
Les larmes sur mon sein ne coulaient point encore.
Des faiblesses d’autrui, crédule, je riais.
On conçoit peu le danger qu’on ignore.
Malheureux que je suis, insensé que j’étais !
Qui peut avant la mort s’applaudir de sa vie ?
Ce dieu qui cause mes regrets,
Voyant toujours que de ses traits
La vigueur sur mon sein expirait amortie,
A pris pour me réduire une jeune beauté
Contre qui ne peut rien la force ni l’adresse ;
De qui jamais mes vœux ni ma tendresse

Ne fléchiront la cruauté.

Laure était la fille d’Audibert de Noves, et depuis deux ans à peine l’épouse de Hugues de Sade. Son âge suivait de près celui de Pétrarque, qui venait d’achever sa vingt-troisième année, et, s’il faut en croire les vers qu’il a consacrés à sa beauté, Laure était une des plus belles femmes de son temps. Les inspirations qu’il dut à cet amour, ses odes, ses sonnets, ses madrigaux, ses ballades, toutes ces poésies qu’il appelait dans sa vieillesse des frivolités vulgaires, qu’il aurait peut-être anéanties, si l’admiration de ses contemporains ne les eût protégées,