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prendre ces conversations, qui étaient pour moi le résultat d’une confiance flatteuse, mais qui, dans le monde, furent remarquées et interprétées diversement. L’instinct du courtisan s’en alarma : des personnes qui me portaient intérêt crurent devoir m’avertir de me tenir sur mes gardes, dans la crainte que mes rapports assidus avec le grand-duc ne vinssent à déplaire à l’impératrice, secrètement jalouse de l’héritier présomptif de sa couronne. Cette disposition soupçonneuse de la mère à l’égard du fils m’était bien connue, mais je n’avais pas pensé qu’elle pût s’étendre jusqu’à moi. N’ayant d’ailleurs rien à demander ni à attendre d’une cour où je ne paraissais qu’en passant, je ne m’occupais guère, au fond, de ce que je pouvais conserver ou perdre de faveur, et j’attachais bien plus de prix à un témoignage de confiance personnelle qui allait presque jusqu’à l’affection.

Le grand-duc me dit, vers la fin de l’été, qu’il allait se rendre à son palais de Gatschina, où il passerait le reste de la belle saison dans l’intimité de sa famille. Il m’engagea à y venir pour quelques jours, et à y porter les notes, dessins et autres souvenirs que j’avais pu conserver de mon long voyage.

Je n’hésitai pas à accepter cette proposition avec autant d’empressement que de reconnaissance, et je m’en vantai, avec l’imprudente ingénuité de mon âge, comme d’un nouveau succès. Les habitués de la cour en jugèrent autrement ; dans la préoccupation de ce qui avait le plus de valeur à leurs yeux, la faveur de la souveraine, ils cherchèrent à me persuader qu’il serait à propos d’éluder l’invitation du Grand-duc. Je repoussai à mon tour cette insinuation comme une pensée de lâcheté dont j’aurais eu à rougir. Je déclarai au contraire hautement que rien ne m’empêcherait de céder à des instances si bienveillantes, et je me rendis à Gatschina au jour indiqué, laissant ceux qui se montraient encore mes amis disposés à s’éloigner de moi dès l’approche d’une disgrâce qui leur paraissait inévitable.

J’éprouvai, faut-il l’avouer ? un grand contentement de moi-même, lorsque je me vis admis dans ce charmant séjour, au milieu de cette belle famille impériale qui me traita comme un ancien ami. Je passai plusieurs jours au sein de cette agréable réunion, et j’épuisai, avec le Grand-duc, tous les sujets d’observation que m’avait fournis cette longue tournée. Il me semblait que je ne pouvais trop reconnaître la distinction dont j’étais l’objet ; j’en étais fier, heureux ; et, sous l’empire de cette impression, je perdais de vue, à tort sans doute, toutes les conséquences qu’elle pouvait entraîner.

À mon retour à Pétersbourg, je ne tardai pas à reconnaître la justesse et la réalité des appréhensions qui m’avaient été exprimées. Les mêmes personnages dont l’accueil avait été le plus empressé pour moi ne déguisaient guères leur embarras, et se montraient plus portés à éviter ma rencontre qu’à me rechercher. Le grand-chambellan lui-même, qui m’avait reçu avec tant de cordialité, trouva un prétexte pour ne plus continuer à me garder chez lui. Tout annonçait que j’a-