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de la jeunesse, si fréquents et si regrettables, lorsqu’elle perd de vue la bonne compagnie. Le jeu était, à la vérité, un grave péril à affronter dans le monde où j’étais admis. Je perdis peut-être un peu plus que je n’aurais dû le faire raisonnablement ; mais l’amour-propre y avait plus de part que la passion ; et si c’est un tort que j’eus à me reprocher, je dois ajouter, pour mon excuse, que je me fis une loi de jouer toujours noblement et de payer avec promptitude et régularité.

Au milieu de cette vie si agitée, je ne négligeais pas mes plans de voyage, et j’en préparais les éléments avec persévérance. Je pensais nuit et jour à me faire remarquer par quelque entreprise en dehors du commun ; j’avais déjà arrêté dans ma tête le projet de parcourir une grande partie de ce vaste Empire russe jusque-là si peu ou si mal connu. Je désirais surtout visiter les nouvelles provinces que le succès des armes avait placé sous le sceptre de Catherine ; je voulais voir Moskou, Kieff, Cherson, la Crimée, Astracan, le Caucase, la Sibérie même. Ma jeune imagination allait plus loin encore, et des circonstances heureuses semblaient favoriser cette extension de mes projets aventureux.

J’avais trouvé à Pétersbourg, dans le chargé d’affaires d’Espagne, un homme instruit et aimable ; c’était M. d’Assenza, depuis ministre de la marine. Je me liai intimement avec lui. Il avait été aide-de-camp général au Mexique, avait beaucoup voyagé, et partageait mes penchants aventureux. Après m’avoir entretenu de tout ce qu’offraient les possessions espagnoles en Amérique, il me parlait de la Chine, et du désir qu’il aurait de voir ce singulier pays. J’éprouvais de mon côté le même sentiment ; mais j’osais à peine en convenir. Toutefois, à force de repasser le même sujet dans nos conversations, nous arrivâmes insensiblement à tracer un plan de voyage qui devait nous conduire jusqu’aux frontières du Céleste-Empire ; agrandissant peu à peu notre cadre, nous convînmes que mon associé mettrait à ma disposition les avantages que lui donnait son long séjour au Mexique, et m’initierait dans ce pays aux connaissances locales que la jalousie espagnole dérobait ordinairement à la curiosité étrangère ; nous devions nous diriger d’abord par Tobolsk et Irkoutsk vers Pékin, où nous ne doutions guère de pouvoir pénétrer ; puis revenant nous embarquer au Kamtchatka, nous nous proposions de passer sur la côte occidentale de l’Amérique, d’où mon ami se chargeait, en traversant les colonies, de me ramener en Europe par les États-Unis. Ce voyage, d’après nos calculs, devait durer environ trois ans.

Il fallait, avant tout, s’assurer la possibilité de passer la grande muraille ; et l’appui du gouvernement russe pouvait seul nous la procurer. Je me chargeai de pressentir à cet égard le prince Potemkin, et je fus au comble de la joie quand je le vis écouter avec intérêt l’exposé de notre plan, y applaudir, l’encourager, et promettre de me donner toutes les facilités dont il disposait, dès que mon associé aurait obtenu de son gouvernement l’autorisation nécessaire. Celui-ci s’empressa de la demander.