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j’allais débuter, me tenant sur la réserve avant de manifester mes impressions, me traçant enfin un plan de conduite que je suivis avec persévérance, je travaillai à me créer par moi-même la position qui devait assurer le succès et l’agrément de mon séjour en Russie.

Dans mes réponses aux questions qui m’étaient adressées sur mon pays, je m’étendais avec complaisance sur la haute opinion que nous avions de la puissance russe, et sur le désir que j’avais toujours eu de venir l’apprécier par moi-même. Mes amis de Vienne m’avaient recommandé d’avance au comte Louis de Cobentzel, ambassadeur d’Autriche, qui, jouissant à Saint-Pétersbourg d’une grande considération, devait être en effet pour moi un excellent appui. Sa maison était le rendez-vous de la société la plus recherchée et le centre du mouvement et de l’élégance. La comtesse de Rombeck, sa sœur, l’aidait à en faire les onneurs, et l’animait elle-mème par son imperturbable gaîté. Tous deux, après m’avoir reçu de la manière la plus encourageante, m’admirent bientôt à toutes les réunions qui se succédaient sans cesse ; et de mon côté, me prêtant à tout ce qui pouvait leur être agréable, je ne tardai pas à devenir partie active et nécessaire du cercle le plus intime de l’ambassade ; J’étendis de là mes relations, et en peu de temps je me trouvai placé à la cour et à la ville dans les rapports les plus satisfaisants pour mon jeune amour-propre.

Ces premiers succès m’encouragèrent à solliciter l’honneur d’être présenté à l’Impératrice. C’était l’époque la plus brillante de son règne. L’Europe retentissait de ses louanges, et je désirais ardemment arriver jusqu’à cette grande Souveraine. Elle accueillit ma demande avec bonté, et me reçut avec cette grâce irrésistible pour tout ce qui l’approchait. En Russie, où tout est soumis à l’influence du trône, le moindre témoignage d’approbation qui en émane décide le mouvement de la société. La belle main que l’impératrice me donna à baiser fut pour moi un talisman magique. Cette marque d’une auguste bienveillance eut l’effet d’un manifeste solennel : c’était proclamer qu’on plairait à la Souveraine en accueillant celui qu’elle avait distingué ; et dès ce moment je fus l’objet de l’empressement le plus manifeste.

J’avais déjà acquis assez d’expérience dans le cours de mes premiers voyages pour saisir ces nuances de cour, les apprécier à leur juste valeur, et les mettre à profit sans m’en laisser étourdir. Ma tête s’était un peu mûrie : mes idées avaient pris un vol plus élevé ; j’avais appris à observer, à réfléchir ; enfin, j’étais parvenu à régler ma conduite avec quelque mesure. Mais j’avais été jusqu’alors dirigé, soutenu et encouragé par les sages avis et la bienveillance protectrice des personnes à qui j’avais été adressé : ce secours me manquait à Pétersbourg. Je me trouvais livré à mes seules forces, et appelé à me créer moi-même, dans ce monde dont je connaissais le danger, la place que je devais chercher à y occuper ; je savais qu’il était aussi facile d’y échouer que difficile d’y réussir. Je ne perdis pas courage, et me mis à étudier avec soin les caractères et même les faiblesses avec lesquels je devais me trouver le plus habituellement en contact. Je me pliais aux exigences