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— Tiens ! dit-il, ton beau cousin, veux-tu le voir ? le voilà.

Pauline leva ses yeux humides et le vit en effet, fort occupé à faire la copie de cet admirable portrait.

— Ah ! coquin, continua Guerville, c’est ainsi que tu profites de mes leçons, attends.

Et, avant que Pauline eut pu deviner son dessin, il s’approcha par derrière du jeune homme trop absorbé par son travail pour relever la tête, saisit sur sa boîte à couleur la plus forte brosse qu’il put trouver, et la passa diagonalement à travers la figure presqu’achevée de la copie.

Bondir comme un tigre sur son tabouret et sauter à la gorge de l’académicien, fut pour l’artiste l’affaire d’une seconde ; mais, reconnaissant aussitôt son oncle et sa cousine, il recula d’un pas, et se laissa retomber sur son siége.

— Ah ! mon oncle, dit-il, c’est vous, un artiste, qui avez fait cela !

— Le fait est qu’il a une singulière figure ainsi, ton Rembrandt. Mais ne vas-tu pas me gronder à présent ? Il paraît que les rôles sont changés. Ah ! mon cher neveu, vous perdez votre temps et tout le fruit de mes leçons à faire des magots, et il faudra encore que j’aie du respect pour eux ! nenni. Du reste, à compter d’aujourd’hui, j’abdique l’honneur trop difficile de faire de toi un David ou seulement un Raphaël. Nous resterons bons amis tout de même, mais je ne veux plus semer dans une terre ingrate les divins préceptes de mon art. Je vais écrire à ton père pour lui donner le conseil de te faire teinturier, décorateur d’Opéra, faiseur de caricatures, que sais-je, moi ? Mais, de perdre l’espoir de faire jamais de toi, même… un Burichon. Ah ! continua l’académicien avec un soupir, ce n’est pas toi qui aurais jamais eu l’honneur de peindre une tête dans un tableau du maître…

Paul était attéré ; il craignait le courroux paternel, il tremblait devant la triste perspective de s’en retourner à Caen, lui qui avait mordu au fruit défendu de la couleur, et qui avait entrevu les délices des plus belles collections parisiennes.

— Je vous en prie, mon bon oncle, avant de me condamner, écoutez-moi ; avant d’écrire à mon père, entendez ma justification, dit le jeune artiste d’un ton suppliant.

— Allons, je t’écoute ; je suis curieux de savoir comment tu vas te justifier d’avoir copié un Rembrandt, lorsque je t’envoie copier un David !

— Rien n’est plus simple, mon bon oncle. Le jour de mon installation au Musée, je voulus revoir ce portrait que j’aime tant, et, à force de le regarder, il me vint l’envie d’en faire une copie pour moi. Je voulus d’abord n’y consacrer qu’une heure par jour ; j’achetai une toile, un second chevalet et je me mis à la besogne ; mais tel fut le plaisir que j’éprouvai, que je ne pus m’en arracher avant d’avoir terminé ma copie. Ce fut fait en deux jours. Je m’apprêtais à emporter mon travail et à le suspendre triomphalement dans ma chambre, lorsqu’un petit vieux, qui avait rodé toute la journée autour de moi, s’approche : — Voulez-vous me vendre cette copie, me dit-il ? — Telle