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— Justement.

Oh ! alors c’est bien différent, je ne l’ai pas vu, non, mais je l’ai entrevu….. une fois….. il y a un mois, quand il est venu apporter sa toile.

— Et depuis ?

— Il n’a plus reparu, mais sa toile est toujours là, le gardien l’apporte régulièrement tous les matins.

— Ah ! fit l’académicien stupéfait.

C’est ton élève peut-être ? ajouta le vieillard, avec un sourire de maligne satisfaction ; en voilà un qui ne te fera jamais honneur.

— On ne sait pas, dit Guerville en se pinçant les lèvres.

— C’est tout su, un jeune homme de son âge qui ne peut faire que çà.

Et d’un geste de mépris, le vieux copiste montrait la figure à peine esquissée de Tatius.

Le professeur ne put entendre de sang-froid traiter son élève avec un pareil dédain.

— S’il le voulait, mon vieux, dit-il en se croisant les bras et en agitant la tête, en deux jours il en ferait plus et du meilleur que toi en deux ans.

— Dame, voilà qui le prouve, fit le vieux peintre en ricanant.

— Pourquoi pas ? Combien a-t-il mis de temps pour crayonner cette figure ? cinq minutes au plus, et vois comme elle est bien campée, comme c’est hardi, comme c’est pur, comme c’est exact ! Regarde la tienne, au contraire, combien as-tu passé de mois à la charbonner ? et comme c’est fait ! les yeux de travers, la bouche trop grande, le nez trop petit, le bras droit trop long, l’épaule gauche trop haute, le torse plat comme une sole, les cuisses rondes, les genoux cagneux, les jambes comme des fuseaux, et les pieds comme des nageoires.

— Mon père ! fit Pauline en tirant M. Guerville par le bras.

Aux torrens de cette amère critique, le pauvre vieillard ne savait opposer d’autre digue que son indignation. Il rougissait, il palissait, il balbutiait et se taisait tout à la fois.

— Et cette Hersilie ! à quoi ressemble-t-elle ? est-ce un homme, est-ce une femme ! ses bras sont deux potences et ses jambes dansent une sarabande !….

— Mauvais rapin, s’écria enfin Burichon, en proie à une rage impossible à rendre honte déshonneur de l’école ! souviens-toi donc du mépris que David faisait de toi !

— David ! ne prononce pas le nom de ce maître ; s’il revenait au monde, furieux de se voir ainsi maltraité par des mains profanes, il te traiterait comme Apollon fit de Marsyas, il t’écorcherait vif.

Le vieux bonhomme ne se possédait plus ; il saisit son bâton de Jacob, et le brandissant comme une épée :

— Va-t-en, s’écria-t-il, je ne sais ce qui me retient…… Va-t-en, barbouilleur, marchand de peinture à la toise, tu n’es….. tu n’es….. qu’un…..