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— Non, mon père, non, interrompit vivement Pauline ; je vous accompagnerai.

Une demi-heure après, le père et la fille montaient en voiture et se dirigeaient vers le Louvre.

Le chef-d’œuvre de David était alors placé dans la première travée de la grande galerie qui fait suite au salon carré. M. Guerville passa devant l’immense toile de Véronèse sans même lever les yeux, et entra avec sa fille dans la galerie. À peine le regard de Pauline avait-il plongé entre ces deux longues files de cadres, qu’elle sentit ses genoux fléchir et le sang refluer vers son cœur. Elle fit un vaillant effort pour ne point se trouver mal, et, appuyée sur le bras de son père, elle arriva avec lui en chancelant devant le tableau de David.

Deux chevalets étaient dressés en face du cadre, et sur chacun d’eux une toile était posée. L’une de ces toiles était couverte d’une couche de couleur à peu près grise ; une main, tremblante et presque débile, était occupée, en ce moment, à découper sur ce fond monotone les silhouettes de Tatius et de Romulus, à l’aide d’un long pinceau trempé dans le noir le plus pur. L’autre toile était encore vierge de tout contact colorant ; seule, la figure de Tatius avait été esquissée à la hâte au crayon blanc ; elle attendait, le sabre à la main, qu’il plût à son auteur de lui donner un adversaire.

Quant au neveu, les yeux intéressés de Pauline n’avaient pu le découvrir, à plus forte raison ceux de l’honorable académicien.

— Bonjour, père Burichon, dit-il en s’adressant au vieillard qui découpait, avec une si scrupuleuse attention, la teinte grise de sa toile.

Le père Burichon, ainsi que l’avait appelé M. Guerville, redressa la tête, releva ses lunettes sur son front et regarda attentivement son interlocuteur.

— Tiens ! c’est toi Guerville, s’écria le vieux bonhomme. Qu’est-ce que tu viens faire ici ! maintenant que tu es de l’Académie, tu n’as pourtant plus besoin d’étudier le maître !

— Et toi, tu l’étudie toujours ?

— Jusqu’au jour où j’aurai un fauteuil auprès du tien. Ce n’est pas juste, pourtant, j’aurais dû passer avant toi, j’étais ton ancien.

— Bah ! ton tour viendra bientôt.

— Tu crois, fit le vieillard en se rapprochant précipitamment de l’académicien. Ainsi, tu me promets ta voix.

— Nous verrons, mon vieux, nous verrons, quand il y aura une place vacante. En attendant, dis-moi si tu as vu mon neveu.

— Ton neveu ! je ne le connais pas.

— Il n’y a donc pas longtemps que tu peins devant ce tableau.

— Ah ! si, il y a longtemps, fit le vieillard avec un soupir, il y a vingt-cinq ans, j’en suis à ma vingt-deuxième copie.

— Je comprends, tu l’as dessiné tant de fois, que maintenant tu le copies les yeux fermés, voilà pourquoi tu n’a pas vu mon neveu, Paul Dubiez.

— Il se nomme Dubiez, ton neveu ? c’est donc le fils de Dubiez qui était avec nous chez David ?