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de volonté et l’élévation de sentiment qui surmontent les difficultés, brisent les obstacles et conjurent les crises ? Est-ce dans cette philosophie matérialiste, qui met son orgueil à ravaler l’homme jusqu’à la brute, et à établir l’égalité de toutes les créatures devant le néant ? est-ce dans le scepticisme qui énerve l’intelligence ? est-ce dans une littérature dégradée qui énerve le cœur ? est-ce dans l’histoire prosternée devant le succès et prostituant ses faveurs au crime ? est-ce dans l’art qui, semblable à ces anges déchus tentateurs des hommes, apporte un aliment nouveau à la corruption ? Cette nation sera donc vaincue par la première situation difficile qui viendra à surgir ; parlons plus juste, elle est d’avance vaincue, car elle porte sa défaite dans sa tête et dans son cœur.

Philosophes, écrivains religieux, historiens, littérateurs, savans, arbitres de l’art, qui que vous soyez, ceci vous est un enseignement. Vous trouvez, en effet, dans cette considération, la révélation de votre puissance, mais aussi la mesure de votre responsabilité. La puissance et la responsabilité, deux idées qui ne se séparent point dans l’ordre moral, deux sœurs qui marchent ensemble. L’homme, en effet, doit à Dieu et aux hommes tout le bien qu’il peut ; et quiconque tient une plume a, jusqu’à un certain point, charge d’âmes. Qu’on ne s’y trompe point, ce n’est pas seulement une force que l’intelligence, c’est un devoir, et comme la noblesse du sang, la noblesse de l’esprit oblige. Ces idées qui tombent de vos plumes sont une semence que recueillent les esprits ; la moisson se lèvera plus tard dans les faits, sans vous, malgré vous, contre vous, peut-être ; mais telle semence, telle moisson. Les politiques agissent sur les faits, cela est vrai, et la puissance des écrivains s’arrête aux idées ; mais disons-le nous bien, les premiers ne récoltent que ce qui a été semé par les seconds. Toujours le siècle politique est en germe dans le siècle littéraire.

Cette pensée doit exciter les écrivains à travailler sans cesse dans leurs œuvres, à relever le niveau des cœurs et des intelligences ; le beau, dans la sphère des idées, est en même temps l’utile. Quiconque écrit a donc une dette à payer à la société où il est né. Dans les temps où nous vivons, n’est-ce qu’une dette ? Quand on jette un regard rétrospectif sur l’histoire littéraire de notre époque, cette dette ne devient-elle pas pour plusieurs un acte de réparation ?