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moins, de leurs conversations et du spectacle de leur travail. Il devint ainsi un connaisseur habile, et posséda bientôt toutes les ressources de l’art sans avoir la main faite à les mettre en pratique.

Cette vocation contrariée, cette expansion sans règle et sans but du goût naturel d’un côté, de l’autre ces études sans profit, parce qu’elles étaient faites sans plaisir, ce cercle monotone sans cesse parcouru avec amertume et dégoût, devaient engendrer un effet bizarre et pourtant nécessaire ; ils devaient étouffer chez le jeune homme toutes les facultés actives et productrices de l’artiste et ne lui laisser en partage que les facultés passives en les développant à l’excès, en faire non plus un artiste qui conçoit et exécute, mais un artiste qui reçoit des impressions et les réfléchit. Quand il est riche, un homme de cette espèce est fort heureux : on l’appelle un collectionneur. Quand il est pauvre, c’est une autre affaire ; s’il ne meurt pas à l’hôpital, il devient marchand de bric-à-brac ; souvent même l’un n’empêche pas l’autre.

Paul courait donc beaucoup les ateliers des coloristes ; mais il visitait plus souvent encore les musées publics et les galeries particulières, s’arrêtant toujours de préférence devant les rois de la couleur et préférant parmi ceux-ci les chauds et puissans coloristes des écoles septentrionales, les lumières éclatantes de Rubens, les clartés vives et mystérieuses de Rembrandt. Pour posséder un Rembrandt et un Rubens, il aurait donné sa vie, si la mort n’avait pas dû le séparer de ses idoles chéries.

Ces explorations souvent répétées ne permettaient guère un travail assidu dans l’atelier de la rue Pigale. M. Guerville disait :

— Mon neveu se dérange.

Pauline se disait de son côté :

— Mon cousin ne m’aime pas.

Puis, par une succession d’idées naturelle dans l’esprit d’une jeune fille, elle ajoutait mentalement :

— Peut-être en aime-t-il une autre !

Alors de belles larmes brillaient sous la paupière de Pauline et roulaient sur ses joues comme les gouttes de rosée sur les feuilles de la rose.

Pauline n’avait plus de mère pour deviner ses chagrins, et elle les cachait si bien aux yeux de son père, que celui-ci n’en aurait jamais soupçonné l’existence. Obligée de renfermer dans son cœur le triste secret de ses peines, elle devenait rêveuse et mélancolique ; l’éclat de ses yeux s’éteignait dans les pleurs, et les fraîches couleurs de son visage se voilaient sous la pâleur des veilles. Elle n’était ni moins belle ni moins touchante, et même la douleur en posant la main sur ce jeune front lui avait imprimé un caractère plus grave et plus élevé.

À des regards moins distraits que ceux du jeune homme, ce changement profond qui s’était opéré dans les manières et dans les habitudes de sa cousine aurait été l’indice d’une certaine agitation de l’âme, et il aurait sans doute provoqué des soins et des attentions