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pliant les jeux de mots ingénieux qui sont l’essence même de son art. Entre ces ornements verbaux, trois surtout doivent être mis en lumière : d’abord, le « mot-oreiller » (ntakoitrakotoba), sorte d’épithète homérique qui, à elle seule, peut remplir tout le premier vers et qui, dés le début, évoque le souvenir d’une lointaine impression, antique et consabrée 1 ; puis, 1’ « introduction » {j°)> procédé par lequel IbS trois vers qui constituent la première partie (kahtl no kon) d’uîié tàttnïa n’ont avec les deux derniers (Shinto no kou) d’autre ltah tJuMh calembour poétique, dé sorte que tout le commencement du morceau devient comme un mot-oreiller plus ample, une préface imagée, un prélude musical 3 ; et en dernier lieu, le « mot a deux fins » {kennyôghenn), mot ou fragment de mot employé dans deux sens, dont l’un se rapporte à ce qui le précède, l’autre à ce qui le suit, de telle manière que les conceptions poétiques s’accumulent et se déroul9tit atefc une intensité qu’ignore la phrase ordinaire*. Tout cela semble étrange. Mais ne nous hâtons pas de condamner cette rhétorique si particulière : au premier abord, un Japonais regarde toujours nos rimes comme un artifice plutôt bizarre ; un Français aussi a besoin d’une certaine éducation pour comprendre et goûter les jeux de mots orientaux. Une fois pénétré, l’art poétique japonais offre on véritable charme ; G’est l’union admirable de tout ce que peuvent donner l’élan lyrique et la science esthétique ; ce sont, pour ainsi dire, des impressions ciselées ; et en Somme, tout ee qu’on peut reprocher aux artisans de tant d’exquises merveilles, c’est un trop grand souci de cette perfection laborieuse qui finit par éteindre la vie môme de l’idée sous l’éclat extérieur de l’art.

1. Nombreux exemples dans lés poésies qui vont suivre (p. 87, ri. 4 ; p. 89, n. 1 ; p. 90, n. 5 ; p. 97, n. 1, 2, 8, 4, etc.), et même dans la prose (voir notamment l’extrait de YIzoumo Foudoki et la Préfate du Kakinnnhou). Ces épithètes avaient, à l’origine, un sens clair (beaucoup correspondent exactement à celles d’Homère) ; mais, dans bien des cas, ce sens ayant été oublié, elles ne furent plus qu’une sorte d’appui, sonore et mystérieux, sur lequel « reposait » le reste de la poésie ; et c’est ainsi qu’elles reçurent le nom de « mots-oretllerS ». 2. Exemples : p. 87, n. 2 ; p. 110, n. 1 et 2 ; p. 115, n. 3j p. 116, n. 3, etc.

8. Pour bien comprendre ce système, il faut se rappeler le genre de plaisanterie qui, chez nous, consiste à enchaîner une série de calembours : « Je te crois de bois de campêche à la ligne de fond de train des équipages de la reine, etc. » Supposez que cette phrase, absurde et vulgaire, ait au contraire un sens et qu’elle soit composée de jeux de mots délicats : vous avez le kennyôghenn. C’est ce que M. Chamberlain appelle, très justement, des mois « pivots ». Exemple typique : ci-dessous, p. 307, n. 2. Voir aussi p. 120, n. 3 ; p. 124, il. 1 ; p. 134, n. 1 ; p. 136, n. 2, ete.

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