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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

En effet, le Kojiki n’est pas seulement le fondement essentiel de la religion et de l’histoire nationales : il constitue aussi, grâce au riche trésor de mythes et de légendes, d’idées et d’émotions primitives qu’il renferme, le meilleur éclaircissement de toutes les allusions littéraires et de toutes les représentations artistiques qui se réfèrent à son objet, c’est-à-dire à l’épopée d’une race dont les fils aimèrent toujours à se souvenir de leurs origines. Je vais donc mettre en relief cet ouvrage capital, en donnant une analyse complète et de nombreux extraits du Livre Ier, qui, concernant « l’âge des dieux », renferme toute la mythologie proprement dite ; une esquisse rapide et de rares passages du Livre II, où la légende domine encore, bien qu’on prétende nous raconter déjà « l’âge humain », mais dont les récits sont d’importance secondaire ; et quelques notions sur le Livre III, qui aborde enfin l’histoire réelle, mais qui offre infiniment moins d’intérêt[1].


LIVRE PREMIER[2]

I. — LE COMMENCEMENT DU CIEL ET DE LA TERRE

Au temps où commencèrent le Ciel et la Terre[3], des divinités se formèrent dans la Plaine des hauts cieux,

  1. Dans les extraits ci-dessous, le texte est suivi d’aussi près que possible, avec ses commencements de phrase enfantins, ses perpétuelles répétitions d’idées et de mots, ses naïvetés de tout genre ; mais je tenais à donner une impression nette du document original ; et c’est pourquoi je n’ai même pas hésité à traduire parfois, sans les couper en phrases analytiques, les longues phrases synthétiques qui peuvent montrer au lecteur européen comment pensent les Japonais.
    Pour ne pas développer les notes outre mesure, je n’ai mis au bas de ces pages que les explications indispensables, et je me permets de renvoyer, une fois pour toutes, à un ouvrage où j’ai essayé d’éclaircir cette mythologie japonaise : Le Shinntoïsme, Paris, 1907.
  2. Le Kojiki est divisé en trois volumes, sans subdivisions par chapitres ; mais pour aider le lecteur à s’y reconnaître, j’ai adopté, à l’exemple de M. Chamberlain, les titres traditionnels que les lettrés japonais avaient peu à peu donnés aux divers épisodes de « l’âge des dieux » et que Motoori a consacrés dans les Prolégomènes de son fameux Commentaire, le Kojikidenn.
  3. Les primitifs expliquent la création du monde soit par une génération spontanée, soit par une génération humaine, soit par une fabrication divine. Nous allons trouver ces trois conceptions réunies dans la mythologie japonaise : les dieux primordiaux naissent d’eux-mêmes ; puis apparaissent des couples dont le dernier engendre les îles ; enfin, l’œuvre est parachevée par le dieu Maître du Grand Pays. On remarquera l’idée d’évolution qui domine toute cette genèse.