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PÉRIODE DE KAMAKOURA

L’ombre de la lune de ma vie approche de son terme et va disparaître derrière la montagne. A quoi bon m’inquiéter de soins terrestres, quand je dois bientôt partir pour les ténèbres des Trois chemins[1] ?

Le Bouddha a enseigné aux hommes de ne s’attacher en rien aux choses de ce monde. Aimer ma hutte d’herbes[2], cela même doit être compté comme un péché[3] ; et même mon repos tranquille doit être un obstacle à l’illumination spirituelle. Comment puis-je perdre un temps précieux à me réjouir de plaisirs inutiles ? Dans la paix du matin, j’ai longuement réfléchi, et je me suis demandé dans mon cœur : « Tu as renoncé au monde, tu as pris pour amis intimes les montagnes et les forêts afin d’apaiser ton âme, afin de suivre la voie du Bouddha. Mais si ton apparence extérieure est celle d’un saint, ton âme demeure trempée dans l’impureté. Si ta hutte souille l’exemple du saint Jômyô[4], ton observance est bien en arrière de la conduite même du vulgaire Hanndokou[5]. Est-ce l’effet de la pauvreté qui t’afflige ou du cœur

    crite sur une cellule de la Grande-Chartreuse : « O beata solitudo, sola beatitudo ! »

  1. Sannzou : le chemin de feu, le chemin hérissé d’épées et le chemin de sang, entre lesquels le pécheur a le choix pour se rendre en Enfer. Tchômei, dans son humilité, ne suppose naturellement pas qu’il puisse prendre tout droit la route du Paradis ; il se confond plutôt avec la foule des morts qui suivent la route de l’Enfer, et qui arrivent alors au sombre carrefour où s’ouvrent ces trois chemins secondaires.
  2. Kouça no yori, suivant une expression consacrée, bien que notre ermite eût construit la sienne en planches.
  3. Comp. saint Augustin s’accusant d avoir pris trop de plaisir à écouter la musique sacrée.
  4. Jômyô-koji, ou Youïma, le légendaire Vimalakirtti, un prêtre hindou, contemporain du Bouddha, qui fit le miracle de réunir des milliers de personnes dans une chambre de dix pieds de côté. D’où la dimension traditionnelle que Tchômei, à son tour, avait adoptée pour sa hutte et qu’il rappelle ici, modestement, en laissant entendre que la cellule ne fait pas le saint.
  5. Shouri-Hanndokou, un homme du vulgaire et le plus sot des disciples du Bouddha. On raconte que, complètement dénué de mémoire, il portait toujours, suspendue à son cou, une tablette où était inscrit son nom.