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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

pectant les travaux, vérifiant les comptes, utilisant en pensée la Force future.

Le lendemain matin, on se remit en route. Les deux filanzanes se suivaient sur l’étroit sentier. Celui de la jeune femme filait en tête, à vive allure. Elle s’était mise en frais de toilette pour sa famille, étalait ses bijoux d’or, le collier indien de Majunga, les bracelets en torsades, les broches en forme d’araignées, et, à presque tous les doigts, des bagues aux fleurs grossièrement ciselées, rehaussées de béryls et de topazes.

Claude, en kaki, se trouvait pauvre et laid à côté d’elle. Qu’allaient dire de lui les parents malgaches ? Il souriait à cette idée, et, dans le sillage de l’Imérénienne, en face du paysage maintenant familier des grandes collines arides et rouges parsemées de rochers ronds, il se sentait à l’aise, adapté au climat, adopté par les hommes, avec cette obscure joie de vivre qu’éprouve l’être sain et fort dans son milieu accoutumé. Une inquiétude lui vint du renoncement possible à la patrie lointaine de l’autre hémisphère, de l’accoutumance trop facile à cette vie nouvelle, aux côtés des femmes exotiques, complaisantes et douces. Il mesura par la pensée à quel stade de cette transformation en étaient ses compagnons ordinaires : Michel Berlier devenu presque complètement malgache, capable de regarder sans tristesse le grand tombeau qu’il