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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

voulut le faire taire, de crainte qu’il n’irritât les Esprits, particulièrement redoutables lorsqu’on est sur l’eau.

— Ne parle pas de ces choses, Raclaude, tant que nous serons dans la pirogue, ou bien les loules viendront la faire chavirer ; ils nous tireront par les pieds au fond de l’eau, ils cacheront nos cadavres dans des trous de la berge, comme font les caïmans, pour que nos parents ne puissent pas les retrouver et les ensevelir.

— Je ne plaisanterai plus, petite Zane ! Je te promets ! Si tu veux, je prononcerai même les mots qu’il faut dire pour apaiser les Esprits. Seulement apprends-les moi, car je ne les connais point.

— Tu n’es jamais sérieux, Raclaude. Tais-toi, ou tu me feras pleurer.

Claude ne dit rien. Il ne songeait plus à ses grands projets de tout à l’heure, mais ses yeux caressaient le corps frêle d’une Imérinienne, assise devant lui au fond d’une pirogue, et qu’il craignait de faire pleurer. Il eut conscience de l’emprise qu’avait sur lui cette petite fille, de la place qu’elle occupait dans sa vie. Ils étaient cependant loin l’un de l’autre, l’australe petite sauvagesse au corps de bronze, aux yeux puérils, et le civilisé au cerveau lourd, aux visions à jamais embrumées par les brouillards de son pays natal. Pourquoi se laissait-il enliser dans cet amour exotique, lui qui avait su résister aux femmes de sa race ? L’image maintenant si lointaine surgit en son esprit d’une forme pâle, jadis obsédante, et depuis quelque temps