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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

parfois les dangers courus par ceux qui passent les mers. Pourtant combien ne sont pas revenus des îles lointaines, qui s’embarquèrent, pleins de vie, à Bordeaux ou à Marseille !

Aussi les Coloniaux témoignent-ils, soit à Paris, soit dans leurs villes exotiques, d’une sorte de furie de plaisir ; en prévision de l’avenir incertain, ils tâchent de vivre les heures doubles ; perpétuels déracinés, ils sont moins assujettis que les autres hommes aux préjugés, aux traditions, aux coutumes. À force de passer d’un pays dans l’autre, ils interchangent les idées, mêlent les races, confondent les mœurs.

Michel Berlier avait été le compagnon de traversée de Claude, et les deux hommes, attirés l’un vers l’autre, s’étaient liés dès le bateau. Ils se voyaient presque tous les jours, et Berlier s’ingéniait à aplanir pour son ami les mille difficultés d’un premier séjour colonial. Grand, dégingandé, les bras ballants, le visage envahi par une barbe et une moustache embroussaillées, il portait des vêtements trop larges et des chaussures toujours couvertes de la poussière rouge des chemins. Il avait quitté l’Europe depuis vingt ans et n’y était retourné que deux fois. Pendant son dernier voyage, il avait, en trois mois, dépensé cinquante mille francs à Paris et à Vichy, puis était rentré à Madagascar, dégoûté des plaisirs de la civilisation. Riche et ruiné à quatre reprises, il avait été planteur de café, fabricant d’essences, éleveur, prospecteur ; il représentait maintenant à Tananarive la Compagnie Cettoise de Commerce et de Co-