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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

niaux d’assez vieille date, sauf l’amphitryon, ils formaient un petit cénacle rare par la largeur des idées, le scepticisme aimable fondé sur l’expérience et l’absence des préjugés qui encombrent la vie sociale de la vieille Europe. Aux colonies, dans des villes qui ne comptent pas plus d’Européens qu’une sous-préfecture ou même qu’un chef-lieu de canton, on peut grouper des individualités intéressantes plus facilement que dans beaucoup de grandes villes de province. Les hommes qui cherchent fortune dans les terres lointaines, par delà les océans, sont quelquefois des ratés, mais plus souvent des fantaisistes, des curieux, épris d’inconnu. Au bout de deux mois, Claude fréquentait un milieu composite, original. Son activité physique et intellectuelle, en une ambiance de vie joyeuse, s’y développait avec plénitude ; le spectacle de choses non vues, d’hommes sans banalité, rénovait son cerveau ; les formes, les images, les idées affluaient en lui pour féconder sa pensée.

Dans les villes coloniales les sympathies s’affirment vite ; de la camaraderie on passe aisément à l’intimité ; on a deux ans, trois ans au plus pour échanger les uns avec les autres un peu de cordialité mondaine ou pour ébaucher des amitiés ; ensuite le hasard des carrières ou des affaires vous disperse à Pondichéry, à Cayenne, à Djibouti, aux Antilles, en Indo-Chine, au Congo, sans compter l’aléa des postes isolés en pleine brousse, dénués de ressources et de moyens de communication. Enfin les risques de la carrière incitent à brûler sa vie. On a exagéré