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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

soir : d’un côté, une nature de cataclysme, un ciel de création orageuse, gonflé d’averses et de tempêtes, avec des lueurs pourprées, des éclairs blafards, et de lointains coups de tonnerre, annonciateurs de quelque démiurge venant bouleverser les rizières ; d’autre part, la pureté élyséenne de l’atmosphère proche et transparente, où les cases rouges luisaient comme des visages, où les ombres vertes étaient accueillantes, où la Terre heureuse souriait au jour qui mourait.

L’Européen maintenant ne regardait plus le paysage, mais sa pensée se teintait des couleurs changeantes du soir, s’attristait des nuées orageuses et lointaines de l’Ankâratve, s’apaisait dans la clarté joyeuse d’Iarive. Ces impressions contradictoires n’étaient-elles point comme le symbole de sa vie ? À l’Occident boréal, au milieu des brumes, s’estompaient, près de mourir, les images tristes et noires, tandis que dans la lumière sereine de l’Île australe s’affirmait l’espoir du bonheur.

Un bruit sous la varangue le tira de sa rêverie ; Razane sortait de la maison ; elle vint vers lui d’une démarche souple et gracieuse. Il sourit, car, en ce soir sans crépuscule, sa pensée se fût vite assombrie de la mort du soleil. Razane s’était assise tout près, sur la murette en terre rouge, et le vaste paysage, aux yeux de Claude, n’était plus que le cadre de sa beauté. La toile de fond des nuages cuivrés par le couchant mettait en valeur le beau corps de bronze clair, tout le scintillement des rizières inondées miroitait dans ses yeux, et sa main, sur le mur d’ocre aux