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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

morceaux de nattes, écorces de fruits, Saldagne regardait la muraille noire du bateau, immobile dans l’eau mouvante. Il y eut un bruit — ploc… — à l’avant ; on jetait à la mer les entrailles d’un bœuf, les moires du sang et de la graisse s’étalèrent ; soudain une masse noirâtre effleura la surface de l’océan ; une nageoire aiguë surgit de l’eau ; le paquet de viscères disparut dans la gueule d’un requin. Claude sondait du regard, au-dessous de lui, la boule glauque, pour voir d’autres monstres ; mais l’eau semblait morte : deux larges feuilles de ravinale, ballottées à la surface, étaient ramenées lentement vers la terre malgache, toutes les autres épaves, grandes et petites, y tendaient aussi, pour se mêler sur la plage aux débris des coraux. Seule la masse énorme du vaisseau s’éloignait de la terre, attirait un instant dans son sillage les débris flottants, puis les rejetait, tandis que l’effaçait à l’arrière le sillon creusé par l’étrave dans les champs humides de la mer.

Saldagne alors éprouva comme une sensation d’arrachement, d’une indéfinissable mélancolie, à l’idée qu’il ne reverrait jamais plus ces bords. Il jeta un dernier regard sur la cité tropicale et sur la côte riante, bordée de cocotiers. De longues vagues ourlaient la plage d’un ruban ininterrompu d’écume blanche. Des arbres touffus dressaient leurs têtes vertes au-dessus des toits rouges de la douane et du port. Sur le fond sombre des frondaisons, les hôtels mettaient des taches blanches et bleues. La longue ligne