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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

Pas un passant. Il observait sans être vu par les fentes ou les trous des murs de clôture disjoints, il surprenait la vie familiale et intime des cases. Soudain, dans l’une, il vit ceci : au premier étage, une femme les bras croisés, vautrée sur l’appui de la fenêtre, et presque couché sur elle, la tenant a plein corps, dans l’attitude aveulie du désir satisfait, un homme, un Malgache. Or la femme était Razane, la Razane de la maison d’Ambouhipoutse, celle qu’il appelait sa Zane ; l’homme, pas même un de ces modernes petits jeunes gens, de ces Faux-cols qui copient les modes et les vices des Européens, mais un indigène quelconque qui peut être marchait, nu-pieds et portait un chapeau carré de bourjane.

Claude se recula un peu dans l’ombre du mur. Il continuait de voir. Le couple ne bougeait pas, restait sans expression, sans émoi, probablement sans pensée, dans cette espèce de vie végétative où se plaisent les Imériniens. Leur bonheur n’avait pas besoin de paroles et probablement le geste était accompli. Saldagne s’arracha de ce spectacle, revint sur ses pas dans l’écœurant sentier, et, le long de la rue joyeuse, dans la clarté retrouvée, dans la clarté limpide et saine, remonta vers Ambouhipoutse. Un vent léger, venu de l’est, sans parfums, soufflait seulement sa fraîcheur au visage de Claude ; lui, regardait à travers la transparence de l’air pur tout le grand paysage lumineux. Il débarrassait lentement son corps des senteurs d’égout du petit chemin, son esprit