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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

la grande nouvelle sans émotion apparente : les races barbares sont impassibles dans la joie comme dans la douleur. Elle restait debout, la main appuyée sur la table, les yeux perdus dans de mystérieuses visions. Leur silence gênait Claude plus qu’elle-même, car les primitifs n’éprouvent pas le besoin d’accompagner de paroles toutes leurs sensations.

Il lui tendit le testament de Berlier, montra le passage qui la concernait. Elle demanda si les autres Européens ne lui feraient pas de difficultés, maintenant que Raberlié n’était plus là pour la défendre. Dans son cerveau s’accomplissait un obscur travail ; l’émotion, lentement, grandissait en elle, se manifestait par de légères crispations nerveuses des lèvres.

— Que vas-tu faire de la maison ? dit Claude. Est-ce que tu l’habiteras avec tes parents ?

— Oh ! non ! fit-elle, comme scandalisée. Je la louerai à des vazaha.

— Mais toi ?

— Je m’installerai à Ambouhitrabibe. Je ne vivrai plus à Tananarive, maintenant… J’ai deux enfants malgaches, dans mon village. Je ne veux plus les quitter…

Ainsi, mise à l’abri du besoin, elle ne chercherait plus parmi les étrangers de mari temporaire. Elle allait devenir une honnête mère de famille, une campagnarde, elle serait rendue à son vrai milieu, et suivrait de nouveau, en Imérinienne conservatrice, la coutume de ses pères… À moins que, par une suprême dissimulation, elle ne mentit en cette minute, pour