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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

laret. Ce double d’elle, qui venait de lui apparaître, était comme l’ombre qui révèle un corps, ou comme le fantôme qui, dans les hallucinations des primitifs, rappelle un cher disparu. Il ne s’y intéressait plus ; seule, l’image de la vraie Marthe, qui vivait là-bas, si loin, emplissait son cerveau. De même qu’une vague de fond submerge tout un rivage et, lorsqu’elle se retire, en a presque changé l’aspect, de même l’onde du souvenir venait d’abolir ou d’atténuer en lui les pensées et les sensations récentes, toutes les impressions imériniennes. Il lui sembla qu’il venait de quitter la France, que toute sa vie, depuis son embarquement à Marseille, n’avait été qu’une sorte de rêve, ou bien un voyage, et le définitif de son existence antérieure, là-bas, s’opposait au provisoire de sa vie actuelle, ici. C’était bien la crise, comme disait Berlier, mais il la sentait déterminée et dénouée fatalement d’avance par un élément que ni Berlier ni les autres ne soupçonnaient. Une sorte de joie l’exaltait maintenant, à se sentir de nouveau en possession de son moi véritable, auquel un autre s’était substitué pour un temps, sous l’influence du mirage austral. L’Imérinienne quelconque, qui venait de passer dans sa vie, lui apparaissait comme une remplaçante, comme une des formes de l’éternelle Illusion, tandis que Marthe Villaret était la réalité où tendaient sa chair et son esprit.

Comme il méditait ainsi, un boy de la Résidence, tout vêtu de blanc et les pieds nus, se glissa jusqu’à lui :