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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

avait longtemps hésité. Il allait peu dans le monde à Tananarive, n’avait pas assisté encore à un bal européen. Mais, dans la période qu’il traversait et que Berlier appelait la crise, il éprouvait certains jours une vague nostalgie de son ancienne vie de France, et il s’était décidé à venir à cette fête. Dans le brouhaha du vestibule, parmi la foule des gens qui s’attendaient ou se disaient bonjour, il fut un peu embarrassé d’abord ; justement il ne vit personne de connaissance, à peine deux ou trois relations de cercle, des célibataires, qui le reconnurent d’une inclinaison de tête. Il éprouva de son embarras quelque confusion : fallait-il qu’il fût ensauvagé après un an !

Soudain il aperçut Cosquant. Cet épicurien de capitaine prenait aux deux vies, européenne et indigène, la plus grande somme de jouissances possible ; il consacrait ses après-midi à ses amis, au bridge, ou à la recherche d’un coucher, comme il disait ; il partageait ses soirées entre les distractions indigènes et les salons vazaha. Cyniquement il avouait qu’après avoir dansé plusieurs heures avec les femmes blanches décolletées, il appréciait mieux les charmes sombres d’une éphémère ramatou. Il vint à Saldagne, la main tendue :

— Eh ! Vous ici ? Par quel hasard ?

— Mais je ne suis pas encore tout à fait un sauvage !

— Non pas ! Seulement avouez que vous ne négligez rien pour le devenir ! Mes compliments quand même pour vous être « débarba-