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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

son amant, par défiance instinctive, et aussi parce qu’ignorés les charmes opèrent mieux.

Plusieurs fois, lorsque Claude se reposait dans le jardin sur la terrasse, goûtant la fraîcheur parfumée du soir, elle avait fait brûler sous le vent des mixtures vendues par les sorciers : ainsi la fumée, entrant dans la bouche et les narines du maître, l’empêcherait de s’éloigner d’elle ou de lui préférer une autre femme.

Elle avait aussi enterré sous le seuil de la maison un fétiche puissant, destiné à fixer pour jamais les désirs de l’homme : ce charme renfermait des cheveux d’elle-même et de Claude, des ongles coupés pendant la période croissante de la lune, une griffe de chatte en chaleur, des plumes prises dans le nid de l’oiseau vouroundreou ; des racines d’un arbre enserré par une liane et du miel recueilli sur la pierre à onctions d’un tombeau ; le tout, cousu dans une étoffe rouge et saturé des fumées de l’Arbre-qui-sent-bon, avait été enfoui, selon les rites, le premier jour du mois Alakôsse, propice à toutes les cérémonies léguées par les Ancêtres. Razane ne regrettait pas les quatre piastres données au sorcier, car pendant plusieurs mois Claude avait comblé tous ses vœux et fait preuve d’une humeur égale, exempte de jalousie, telle que la souhaitent, chez leurs amants européens, toutes les femmes imériniennes.

Mais depuis quelques jours elle s’inquiétait des allures de Saldagne : elle le sentait moins tendre, moins empressé de la revoir, préoccupé de choses étrangères et lointaines. Par-