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LA FILLE DE L’ÎLE ROUGE

jour il me confia pourquoi il s’ennuyait dans la vie. Il avait passé vingt-cinq ans dans les pays d’outre-mer, en Algérie d’abord, puis dans les colonies lointaines, au Congo, au Dahomey, à Tahiti, à Madagascar. Il me vanta le charme des Imériniennes, Berlier ! et c’est lui qui le premier me parla de cette ville étrange, que mes yeux aujourd’hui contemplent avec vous. Je ne me doutais guère que plus tard je revivrais ses pensées et qu’un jour peut-être, je connaîtrais son mortel désarroi. Quand l’âge de la retraite était venu, il n’avait point de demeure fixe, passant dix-huit mois dans une colonie et trois ans dans une autre. Au dernier séjour, on l’avait embarqué d’urgence en congé de convalescence, très anémié, et les médecins lui conseillaient de ne pas retourner dans les pays à paludisme. Du reste où se serait-il fixé ? Partout il avait été le passant, le voyageur moins pressé que le touriste, et cependant en villégiatures successives, plus lointaines seulement, plus longues et plus attachantes que la Riviera ou l’hivernage égyptien. Il n’avait pas eu le temps de se marier, en ses courts séjours en Europe. Les femmes noires, les femmes brunes, les femmes jaunes avaient lassé sa curiosité d’amour ; deux souvenirs surnageaient dans le naufrage de sa vie sentimentale, d’une vahiné de Tahiti et d’une ramatou d’Iarive. Quand il parlait d’elles, ses yeux tristes s’emplissaient des brumes de la mer, et il regardait les vagues mouvantes qui se poussent l’une l’autre jusqu’aux plages roses ou violettes des Îles de l’Océan tropical. Il était retourné