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ni la sœur de ses frères, ni l’amie de ses amies. Elle était devenue pour tout le monde comme une chose fady. Aucun homme n’avait plus envie d’elle, et elle-même, dans l’obsession de sa fin, n’avait pas de désirs. Retranchée déjà de la race, elle était marquée par les Razana pour habiter dans la grande case grise de la forêt profonde, dans la Case-des-Morts, ouverte aux vents, où s’amoncellent les unes sur les autres les Pirogues-Closes.

Elle n’avait plus rien de commun avec les vivants. On ne s’occupait pas plus d’elle que des adaladala qui rient, gesticulent, et parlent sans savoir pourquoi. Elle-même, hébétée, se demandait parfois si elle n’était point déjà morte. Elle mangeait à peine, ne dormait guère ; la fièvre, presque tous les jours, la secouait de frissons et la laissait brisée, perdue en des rêves délirants.

Depuis qu’elle devait mourir, sa petite intelligence de Betsimisaraka s’était ouverte au sens des choses mystérieuses. Elle passait des heures dans la forêt, ou sur la colline hérissée de loungouza et de ravinala, où était la Maison-des-Morts. Elle entendait l’appel des Razana dans le cri plaintif des singes nocturnes. Quand elle s’arrêtait près de la case des Pirogues-Closes, elle n’avait qu’à fermer les yeux, elle voyait alors tous les Zanahary, les anciens morts des temps lointains, – et les Razana, les morts de jadis,