Page:Renard Oeuvres completes 1 Bernouard.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée
XXXIV
PRÉFACE.


ornières profondes, des grains pareils aux pierres de la route , des veines navigables, des poils oubliés comme de mauvaises herbes, de sombres taches ici, là un point qui bouge, mie petite bête, sans doute, et partout des horreurs " l’époque où, pas plus que cette main, un seul sentiment ne résistait à son regard trop attentif, et où il trouvait partout, quelquefois des horreurs, le plus souvent des mobiles à qui leur bassesse confère un parfait ridicule. On dirait qu’il a piétiné l'herbe des champs et l'âme humaine, ivre moins d’une rage de destruction que de la faculté qu’il s’était découverte de tout déformer pour reconstruire un mince univers peuplé d’homuncules et d’animaux qui ne seraient que des animalcules. Ce fut l’époque de Sourires pincés, de l'Ecornifleur, de Coquecigrues, de la Lanterne sourde, de la Maîtresse, du premier Vigneron dans sa vigne, et, en partie, des Histoires naturelles et de Poil de Carotte, puisqu’ici il voit les lapins " les oreilles sur l’oreille, le nez en l’air, les pattes " de devant raides comme s’ils allaient jouer du tambour " et, là, " les pattes écartées comme pour une réclame d’armurier ". C’est que, devant l’image littéraire toute faite aussi bien que devant les grands sentiments prétendus, en un mot : devant le lieu commun, il avait gardé, de son enfance, l'instinctif mouvement de recul de Poil de Carotte mis en présence de Mme Lepic.

Cela ne dura point. Il vendit " la camelote des comparaisons " qui surchargeait sa mémoire et, désormais, regarda tout d’un œil net et clair sur la rétine duquel on eût dit que pas une image déformatrice n’avait laissé trace. Le pittoresque qu’il avait cherché dans la littérature, il le trouva s’ étalant au grand jour, et à sa porte. Ce fut l'époque du second Vigneron dans sa vigne, des meilleures Histoires naturelles, des Bucoliques et des Comédies. Il consentit que l’homme fût capable d’être