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JULES RENARD


ment réflexe, d’un brusque coup de talon remet le mollet à sa place. Réveillée en sursaut, Aline, naturellement peureuse, croit à une entrée furtive d’assassins qui, au préalable, la tirent par les pieds.

Si le menton du mari creuse la nuque de la femme, d’un vigoureux coup d’épaule, donné à propos, Aline envoie rouler la tête d’Albert sur l’oreiller de l’autre bord. Il s’imagine encore au régiment. Sans doute " un de la classe " lui a fait " prendre le train ". Il va ramasser les planches de son lit éparses, et déjà se propose d’offrir demain matin au bon farceur un litre d’eau-de-vie pour sa peine !

Comme le combat se prolonge, bientôt Albert se sent envahi. Il n’y tient plus, et d’une voix ferme :

— Aline, dit-il, allume !

La chambre éclairée, le mari prie simplement la femme de jeter, mais sans bouger, un coup d’œil oblique sur leurs positions respectives. Il ajoute :

— Soulève-toi un peu.

Tous les deux se mettent sur les genoux. Albert plante un doigt de sa main gauche sur la ligne de démarcation imprimée par le corps d’Aline, et ouvre sa main droite en compas, le pouce d’un côté, les quatre doigts de l’autre, comme font les gamins joueurs de boule, puis il mesure :

— Deux longueurs pour moi, dit-il, et quatre et demie pour toi ! Autant dire que tu prends toute la place.

Il regarde Aline presque sévèrement, à croupetons, ses deux mains plaquées sur ses cuisses, ébouriffé, sa chemise à la russe fripée. Elle l’écoute, les yeux ternes sous les boucles de ses cheveux tombantes, pareille à une sauvage innocente. Ses épaules