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JULES RENARD


sur un nuage pendu à l’horizon comme un haillon éclatant.

La lumière s’amollissait et, tamisée par les feuilles et les branches déchiquetées, ne jonchait plus le sol que de vagues fleurs de clair et d’ombre.

Les arbres se revêtaient déjà de formes nocturnes dont la plus simple était celle d’un oiseau énorme balançant ses larges ailes sans jamais se décider à prendre son vol.

Dans la solitude, les plus petits détails prenaient de l’importance.

Après un long moment de lourdeur, où une petite fleur eût paru pesante, il s’était fait une subite animation comme au coucher d’un roi.

Les oiseaux rentraient, comme des fusées, dépareillés, s’appelaient par des cris divers et prenaient sur une branche, sous une feuille, des poses commodes pour la nuit, avec des chants vifs et des roucoulements sourds.

Dans l’air moite, empli de morbidesse, de soudaines et fortes haleines passaient comme si le vent eût donné une fois pour toutes ce qui lui restait de souffle.

L’eau s’illuminait de feux intérieurs. Un monde de nuit s’y éveillait, et les deux ivrognes, pris d’une émotion niaise, regardaient s’étendre, comme des robes de fantômes, les brumes blanches épandues, vapeurs d’une immense étuve.



II


Ce soir-là, le curé du village, rasé de frais, nu-tête, chauve et ventru, sous une ombrelle blanche