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vieux dont la tête avait le branle des ruines qui croulent et des vieillards qui hésitent à mourir, la servante un peu en arrière, rangés comme dans une pose pour photographe, tous immobiles et muets de joie.

La carriole accourait, lourde et cahotée sur ses deux roues, secouant les deux voyageurs. Le cocher avait l’air d’une outre ou d’un ballon prêt à partir à cause du vent qui gonflait sa blouse.

Dans le trou noir des écuries, des domestiques avec des fourches se montraient, tendaient la tête. Des coqs se dressaient sur leurs ergots ; un bœuf attaché dans la grande cour regardait avec ses yeux ronds, et le berger, petit idiot trouvé et recueilli par la ferme, se mit à jouer sur son flûteau, sans savoir pourquoi, un air doux et mélancolique qu’il jouait sans cesse.

La carriole arrivait. Le cheval s’arrêta d’un coup, soufflant, les pattes velues.

Des mains se tendirent. Un jeune homme pâle, mince et long dans sa redingote boutonnée, descendit.

Il embrassa tout le monde à pleine joue, d’une façon sonore, mais sans s’y reprendre à deux fois ; chacun s’essuya la bouche.

Le père se tourna vers le cocher et dit :

— Mets-y de la paille sur le dos ; il a trop chaud.

Puis il passa son bras sous celui de son fils et ils entrèrent.

Il lui dit :

— Te voilà donc, not’grand !

Et tous, les yeux mouillés, ne pouvaient que répéter :

— Te voilà donc, not’grand !