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premiers jours, elle avait gêné, comme si chacun eût dû rétrécir sa vie pour qu’elle se fît la sienne et retrancher à ses habitudes pour qu’elle en prît sa part.

Puis, comme elle était cousine du fermier, on se fit vite à elle. Et, d’ailleurs, elle ne montrait dans sa bonté ou dans sa malice rien qui pût la faire remarquer, et elle n’avait vraiment que deux manies.

Celle de dire à tout propos : Ah ! attendez donc, ma fine ! Qu’est-ce que je voulais donc dire pour ne pas mentir ? Et la douce manie des piles de linge blanc, méticuleusement rangées, comme des gâteaux à la neige.

Grosse, lourde, essoufflée, elle marchait en cane, le bas de sa robe bordé d’une bande de poussière grise dont chacun de ses pas soulevait un flocon, sans lunettes, sa petite lanterne grillée lui battant les flancs d’un mouvement rythmé. Elle allait, pressée, et devait avoir bien peur de ne pas arriver assez tôt pour modifier d’autant son allure de tous les jours.

Elle passa, sans s’y arrêter comme d’habitude, devant la vieille église tranquille et penchée dont le haut portail représentait vaguement, en relief, un homme sans tête sur un cheval à trois pattes, l’une d’elles pesant lourdement sur le corps d’un enfant tombé ; une des deux ou trois antiques légendes qui planaient sur le pays comme des gardiennes de son histoire.

Le cheval d’un grand seigneur avait écrasé un enfant, et le seigneur, impie jusqu’à ce jour, avait fait tuer son cheval et bâtir l’église par mortification.

À voir cette pierre à peine dégrossie, crevassée, moussue, bourgeonnée comme une lèpre, il y avait