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avant, deux en arrière, jouant le rôle du cavalier seul.

Devant un coude bien arrondi de la rivière, Pierre s’arrêta. Un bateau de flotteur, attaché à un tronc de saule par une chaîne libre, clappait comme une langue de chien qui boit. Pierre le détacha et sauta dedans. Le bateau glissa vers l’autre bord, sur le reflet d’un ciel très pur, jonché d’astres brillants comme des yeux et que le sillage faisait légèrement clignoter. L’eau coulait, lente, sans chocs, s’illuminait entre deux projections de saules, rentrait dans l’ombre, et la perche de Pierre s’enfonçait, se retirait sans bruit. Il semblait pêcher aux feux de la lune, et, avec son bras démesurément allongé, aller chercher des poissons sous les cailloux.

La Griotte ne put retenir une exclamation. La chance encore se tournait contre elle. Elle ne la verrait donc jamais, cette fille ! Pierre était arrivé. Les saules, au-dessus de lui, se creusaient en charmille impénétrable, et leurs branches se traînaient sur une pile de bois. Il était là, à n’en pas douter, derrière cette pile, sous un couvercle de feuilles fraîches, le nid de leur amour.

La Griotte entendait la voix de Pierre, des sons