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le péril bleu

Moi. — Comment ? vous savez…

Garan. — Si j’ai été désigné par mes chefs pour suivre cette affaire, c’est que, de par mon service habituel, je suis préposé à la sécurité de la colonie étrangère de Paris. Comme tel, chargé, le 12 avril, d’assurer un service d’ordre discret à l’inauguration du télescope Hatkins, j’ai assisté à la fête que vous donniez, monsieur Le Tellier. Alors, ayant eu l’occasion de m’occuper de vous une première fois, on a cru bon de me choisir quand M. d’Agnès est venu à la Préfecture demander quelqu’un. — Des gens bien renseignés m’ont certifié qu’à la suite de cette cérémonie plusieurs demandes en mariage avaient été formulées, et j’ai de bonnes raisons de croire que votre brusque départ était une dérobade. — Voulez-vous me donner l’état des demandes que vous avez reçues ?

Moi. — Certainement. Il y avait… Mais, à vrai dire, nous n’avons reçu que trois demandes catégoriques. Les autres ne furent que des avances, des marches d’approche, destinées à nous pressentir.

Garan. — Vous n’avez opposé que trois refus formels ?

Lucie. — Oui.

Garan. — N’examinons que cela. Un candidat définitivement écarté peut seul se résoudre à l’extrémité d’un enlèvement. — Ces demandes provenaient toutes trois d’étrangers ?

Moi. — Oui. Mais l’une d’elles serait la bouffonnerie de ce drame, si ce drame n’était pas le nôtre… C’est la demande d’Abd-Ul-Kaddour-Pacha.

Garan, avec un sourire retenu. — Non ? Pas possible ? Abd-Ul-Kaddour ? L’homme aux odalisques ?… Ah ! l’animal ? Ce qu’il m’a donné de peine pendant son séjour ! Quelle surveillance !… C’est un détraqué, malade de corps et d’esprit, usé par tous les abus. Ah ! il n’a pas raté une seule extravagance ! Demander votre fille, ça, c’est merveilleux ! — En tout cas, mettons-le hors de cause. Tel que je le connais, sa lubie n’aura pas duré. Et d’ailleurs, il a quitté Paris sous ma garde le matin même des disparitions, le 4 mai, par train spécial ; et le soir, à 6 heures, nous l’avons embarqué à Marseille, lui, ses douze femmes et sa suite, à destination de la Turquie. C’est moi qui ai veillé sur lui jusqu’à la fin ; et ceci causa justement le retard de M. d’Agnès, qui dut attendre mon retour par l’express de Marseille, avant de pouvoir se mettre en route pour le Bugey. — Quelles sont les deux autres demandes ?

Moi. — L’une émane de M. Evans, un attorney de Chicago. Il m’a écrit le lendemain de l’inauguration, et j’ai l’assurance qu’il est reparti pour l’Amérique aussitôt après avoir connu notre réponse négative.

Garan, après s’être recueilli. — À exclure également. George