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le péril bleu

Durant quelques secondes, je contemplai d’un regard ébloui la fiche de bristol évocatrice de tant de gloire et de science, de malheur et de courage ; puis mon attention se fixa sur la porte. Bien souvent, au cours de la terrible année 1912, les feuilles publiques avaient reproduit les traits de M. Le Tellier, et je voyais d’avance apparaître au seuil de la chambre un visiteur dans la force de l’âge, avec un bon sourire et de grands yeux clairs sous un front large et pur, redressant sa haute taille et caressant d’une main déliée sa barbe soyeuse et brune.

Or, celui qui tout à coup s’encadra dans le chambranle ressemblait à ma vision comme un vieillard ressemble à sa jeunesse.

Je courus à sa rencontre. Il essaya de sourire et fit une grimace. — Il marchait voûté, d’un pas incertain, et soutenait à grand’peine un portefeuille volumineux. — Hélas ! à présent sa redingote noire flottait large autour de sa maigreur ; à présent la rosette rouge qui boutonnait son parement voisinait avec une barbe grise ; ses paupières demeuraient baissées timidement, peureusement ; à présent, enfin, toutes les émotions, toutes les souffrances, toutes les épouvantes de 1912 se lisaient à ce front blême et dégarni, tourmenté de rides douloureuses.

Nous échangeâmes les politesses de rigueur. Après quoi M. Le Tellier voulut bien s’asseoir, posa sur ses genoux le portefeuille ballonné, puis me dit en le tapotant :

— « Monsieur, voici du travail que je vous apporte. »

— « Vraiment ? » fis-je d’un ton aimable. « Et… de quoi s’agit-il, monsieur ? »

Il leva les yeux vers les miens. — Ha ! ses yeux n’avaient pas changé. C’étaient bien ces yeux-là que j’avais espérés : de grands yeux intimidants, habitués au spectacle des soleils et des lunes, et qui daignaient me regarder… — L’astronome ne répondit pas tout de suite à ma question, et je commençais à trouver, au sujet de ses yeux, des choses ravissantes, comme ceci par exemple : qu’ils semblaient restés tout imprégnés de bleu céleste, et luire toujours de lueurs sidérales…, — quand M. Le Tellier prononça cette phrase ébahissante :

— « J’ai là tous les documents nécessaires à l’histoire