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le péril bleu

pneumatique m’assignant un rendez-vous. J’y fus ; et je lui dis qu’il avait écrit ce bleu au Café de la Restauration, — qu’à ce moment-là le café était rempli de consommateurs, — et que lui-même était pressé d’en finir avec sa correspondance.

» Pourquoi au café ? Parce que la gomme de la carte avait le goût du vermouth-grenadine, mixture que l’on boit rarement ailleurs… »

— « Comment ! » s’écria M. Le Tellier, « vous avez léché cette colle qu’un autre déjà… »

— « C’est le métier. — Je reprends :

» Pourquoi au Café de la Restauration ? Parce que, dans les traits des caractères, tracés au crayon, se dessinaient les stries du buvard sur lequel M. d’Agnès les avait écrits, — buvard dont vous ne rencontrerez d’exemplaire que chez des particuliers ou dans cette taverne. Or je savais, par le vermouth-grenadine, qu’il fallait écarter l’idée de particuliers.

» Pourquoi beaucoup de monde ? Parce que, ayant demandé de quoi écrire, François d’Agnès n’avait pu obtenir qu’un buvard et pas de plume (puisqu’il s’était servi d’un crayon). Donc toutes les plumes étaient en main ; et cela implique la présence d’une foule.

» Pourquoi pressé ? Parce qu’il n’avait pas attendu d’avoir une plume ; ce qui pourtant n’aurait tardé.

» Hé ! que dites-vous de cela ?… Je vois avec plaisir, monsieur, que vous revenez sur votre première impression. Allez ! allez ! je retrouverai votre fille, c’est moi qui vous le dis ! Et tenez, je veux vous convaincre davantage encore ! »

Là, Tiburce s’enfonça dans un canapé, croisa les jambes, fixa un coin du plafond, se rongea quelque peu les ongles, et débita d’une voix rapide et négligente, aigre et blanche, — de cette voix, enfin, que l’acteur Gémier prêtait au personnage de Sherlock Holmes :

— « Monsieur, vous possédez un chien de la race dite « griffon Boulet à poils durs ». Et ce chien d’arrêt, vous en faites un toutou d’appartement. Car vous n’êtes pas chasseur. Pas chasseur, mais pianiste. Très bon pianiste, même ; ou du moins vous croyez l’être. J’ajouterai que vous avez servi dans la cavalerie, que vous portez à l’ordi-