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le péril bleu

— « Pardon, j’avais oublié », fit le duc d’Agnès. « M. Garan est inspecteur de la Sûreté. »

M. Le Tellier, que l’impatience d’agir aiguillonnait, désigna l’autre inconnu, profondément absorbé dans l’examen de la salle, et dit à M. Garan :

— « C’est bien aussi l’opinion de votre collègue ? »

Le policier sourit derrière sa moustache cornue :

— « Monsieur n’est pas mon collègue… Je n’ai pas l’honneur… »

— « Tiburce est un de mes amis », exposa le duc d’Agnès non sans marquer de l’embarras. « Il peut nous être utile… oui… vraiment : utile. C’est un vieux camarade de pension à Maxime et à moi. »

Sur ces paroles, Tiburce se leva de sa chaise.

Enveloppé d’un macfarlane à grands carreaux, ce jeune homme rasé, blafard, — muni d’une bouche écarlate impossible à fermer, qui éclatait dans sa figure comme une tomate sur un fromage blanc, — l’œil rond, les traits figés dans une atonie de plâtre classique, — ce jeune homme, dis-je, représentait un spécimen accompli d’anglomane. Il eût sans doute constitué un gentil petit Français, rien qu’en laissant croître sa barbe blonde et naître à ses lèvres ultra-purpurines le sourire qui les sollicitait sans trêve. Peut-être même, vêtu comme vous et moi, Tiburce nous eût-il égalés vous et moi… Mais voilà : Tiburce faisait l’Anglais ; il entourait d’étoffes londoniennes sa prestance de Gaulois ; il recouvrait sa physionomie parisienne du masque britannique. C’est pourquoi, au lieu d’être auguste à la façon d’un lord, il l’était à la manière d’un clown ; au lieu d’être séduisant à l’égal de vous et moi, il était burlesque, monsieur, — tout simplement.

— « Mon ami », poursuivit le duc d’Agnès, « est un… »

— « Je suis sherlockiste, et rien de plus. »

M. Le Tellier fit des yeux en points d’orgue.

— « Plaît-il ? »