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le péril bleu

Fort bien. — Et les parents ?

Les parents ? Ils devisent dans le salon, avec Mme Arquedouve et Robert Collin. Et tandis que Mme Monbardeau, l’esprit tout aux Sarvants, s’inquiète à part soi de la sortie des « enfants », qu’elle traite d’imprudence, — l’aïeule, s’adressant à M. Le Tellier, lui demande :

— « Jean, pourquoi venez-vous si tôt à Mirastel ? »

Mais l’astronome ne répond pas tout de go. Il regarde sa femme d’un air gêné. Celle-ci, alors, toise le secrétaire avec beaucoup d’arrogance ; elle parcourt d’un regard malveillant le pauvre petit homme chétif qui est là, si maigre et si laid ; elle semble faire l’inventaire de ses désavantages physiques, de ses pommettes saillantes, de son front excessif, de sa vilaine barbe mousseuse ; et elle fixe, derrière les lunettes d’or, les grands beaux yeux immensément rêveurs, comme s’ils étaient aussi déshérités que le reste.

Robert Collin a compris. Il sent qu’il est de trop, se lève, bredouille : « Si vous permettez, je vais… hum ! je vais défaire mes bagages. » Puis se retire en essuyant ses besicles d’or.

Et Mme Monbardeau :

— « Quel brave garçon, ce Robert ! Comme tu le traites, Lucie ! »

— « Je n’aime pas les gêneurs », fait Mme Le Tellier sur un ton langoureux. « Ce monsieur toujours en tiers, c’est assommant !… Et encore, avec une tête pareille ! »

— « Luce ! Luce ! » gronde M. Le Tellier.

Or, le lecteur a de la chance. Les deux sœurs ne pouvaient rien dire qui les peignît plus au vif en moins de mots : l’une indulgente et bonne, franche et sans apprêt ; l’autre nonchalante et pleine d’âcreté, dure au prochain. Ajoutons que Mme Le Tellier se teignait les cheveux au henné ; qu’elle restait des heures étendue, sans raison valable ; que ses ongles paraissaient huilés à force de luire et d’être polis et repolis, — et nous l’aurons décrite très suffisamment.

Cependant Mme Arquedouve a répété sa question, et puisqu’on est en famille désormais :

— « Ma mère, » commence M. Le Tellier, « moi je