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mirastel et ses habitants

une éducatrice remarquable et une maîtresse de maison accomplie. Elle vaquait chez elle aux besognes les plus différentes, avec une adresse incroyable. Mais, sortie de son parc, elle rentrait dans les ténèbres ; et c’était grand’pitié, par les belles nuits scintillantes, de la voir lever ses yeux trépassés vers la splendeur d’un ciel qu’ils ne pouvaient sonder, mais dont elle écoutait la silencieuse harmonie.

Son idéal était d’avoir un gendre qui fût astronome. Elle le réalisa. Quatre ans après le mariage de sa fille aînée avec le docteur Calixte Monbardeau, établi à Artemare, la cadette épousait Jean Le Tellier, alors attaché à l’Observatoire de Marseille.

Ce fut à M. Le Tellier que profita l’installation de la tour. Une bonne lunette équatoriale s’y trouvait qui lui permit de poursuivre à Mirastel, durant la chaude saison, quelques-uns de ses travaux.

Et maintenant M. Le Tellier était directeur de l’Observatoire de Paris. Et maintenant Mme Arquedouve était quatre fois grand’mère. — Mais, hélas ! une avanie déplorable l’avait encore accablée.

Suzanne Monbardeau, l’aînée de ses petits-enfants, s’était laissé séduire par un nommé Front, de Belley, — un don Juan rustaud, dépourvu de tout sentiment. Il l’avait enlevée ; et, M. Monbardeau ne voulant plus entendre parler de sa fille, la triste Suzanne vivait avec son amant, dans un modeste cottage à l’écart de la petite ville, et ne fréquentait plus, de toute sa famille, que son frère Henri. Encore devait-il, pour la rencontrer, se cacher à la fois de Front et de leurs parents. — Bien de la misère, comme on voit.

Suzanne, au mois d’avril 1912, avait trente ans, et son frère vingt-neuf. Sujet hors ligne, docteur et biologiste, attaché à l’Institut Pasteur, célèbre aujourd’hui par son admirable traitement de l’artério-sclérose, Henri Monbardeau venait d’épouser une charmante jeune fille du pays, Fabienne d’Arvière ; et le nouveau couple se reposait à Artemare d’un voyage de noces quelque peu fatigant, lorsque les Le Tellier reçurent l’hospitalité de Mme Arquedouve.